COVID-19
Lorsque le travail à domicile n'est pas une option : réduire les risques pour les livreurs indépendants durant la pandémie
Restez à la maison. Faites livrer votre nourriture et tout le reste. Évitez les endroits publics et les transports.
Voilà les messages qu'on entend depuis le début de la pandémie. Bien qu'ils nous encouragent à adopter d'importantes mesures de santé publique et à agir de manière à réduire la propagation communautaire de la COVID-19, ils sont plus facilement applicables par certains que par d'autres.
« L'éloignement physique et le télétravail représentent un luxe accessible à une minorité seulement, met en garde la Dre Ellen MacEachen, professeure et directrice intérimaire à l'École de santé publique et des systèmes de santé de l'Université de Waterloo. Alors comment pouvons-nous protéger ceux qui n'ont pas ce privilège? »
Plus précisément, la Dre MacEachen s'intéresse aux livreurs indépendants, qui sont essentiellement des travailleurs autonomes au sein d'une « économie des petits boulots », tels que des conducteurs des services de covoiturage et de transport (Lyft, entre autres) et des livreurs de repas (Uber Eats, Skip, etc.) et de colis (Amazon, entre autres). Différents des travailleurs des modèles d'entreprise traditionnels (Purolator, taxis, etc.), ils représentent ce que la Dre MacEachen appelle « un nouveau paradigme du travail », dans lequel le travailleur se rapproche plus de l'entrepreneur indépendant que de l'employé. La différence est que ces entrepreneurs interagissent avec des algorithmes impersonnels et non avec des collègues ou des gestionnaires, ce qui complexifie le respect des protocoles de prévention de la COVID-19.
« Des directives de sécurité sont en place pour les entreprises et leurs gestionnaires, mais ce n'est pas le cas pour les travailleurs dont l'employeur est une application », explique-t-elle, ajoutant que la recherche peut jouer un rôle crucial pour rendre ces emplois plus sécuritaires, pour les employés comme pour les consommateurs. « Il n'existe encore aucune stratégie officielle pour éviter que les travailleurs indépendants soient exposés au virus et pour réduire leur risque de transmission communautaire; nous voulons changer cela. »
Pour trouver une solution, il faut entre autres observer les conditions de travail au jour le jour pour ainsi déterminer la nature des risques pris et les surveiller. La Dre MacEachen dirige maintenant une étude échelonnée sur 12 mois qui vise à explorer ces données et à travailler avec un large éventail d'intervenants pour élaborer un plan d'intervention sur mesure qui assurera la meilleure protection possible contre la COVID‑19 et la transmission communautaire.
Ce projet s'inspire de ses travaux antérieurs, qui étudiaient plus largement la santé et la sécurité des chauffeurs indépendants de services de transport. « Ces emplois fonctionnent très souvent avec un système de cotation, ce qui place les chauffeurs en position de vulnérabilité. Les conducteurs se font attribuer une cote par leurs clients, et si la cote globale devient trop faible, ils sont expulsés de la plateforme et perdent leur travail. Qui plus est, ils ne reçoivent aucun avertissement avant leur expulsion. Notre étude a démontré que ce système de cotation rend les conducteurs vulnérables et les encourage à prendre des risques pour plaire aux clients et ainsi garder une cote élevée et une certaine sécurité d'emploi. »
La Dre MacEachen s'attend à voir ce genre de scénario pendant la pandémie. Par exemple, la majorité des entreprises de covoiturage ou de services de transport obligent les chauffeurs et les clients à porter un masque à bord du véhicule. Les chauffeurs doivent aussi garder les fenêtres ouvertes, ne serait-ce que légèrement, pour permettre l'aération. Mais si un client demande de fermer les fenêtres ou qu'il enlève son masque pendant le trajet, « le chauffeur n'aura que très peu de recours et devra risquer soit d'être exposé au virus, soit d'obtenir une mauvaise cote si le client n'aime pas se faire demander de suivre les règles. Un chauffeur de taxi y risquerait peut-être son pourboire, mais un travailleur indépendant dans cette situation pourrait perdre son emploi ».
On observe une situation similaire avec la livraison de repas, où les clients des applications peuvent choisir la livraison sans contact, alors que les livreurs n'ont pas cette option. « Nous nous attendons donc à voir des livreurs s'exposer à des risques accrus pour pouvoir continuer à travailler. »
L'équipe de la Dre MacEachen recueillera des données à l'aide d'entrevues avec des travailleurs de chaque secteur (services de covoiturage, de transport, de livraison de repas ou de colis), des représentants patronaux d'entreprises connexes, ainsi que des gestionnaires de services de transport ou de livraison plus traditionnels. Avec l'aide d'un comité consultatif composé de multiples intervenants et d'experts dans le domaine, l'équipe prévoit élaborer des stratégies concrètes et formuler des recommandations pertinentes pour les politiques d'ici le printemps prochain (2021).
D'ici là, la Dre MacEachen recommande aux clients de respecter certaines règles simples dès maintenant, particulièrement en ce début de deuxième vague.
« Ces travailleurs visitent de nombreux endroits différents; participer à réduire leur risque d'exposition, c'est aussi participer à réduire le nôtre, avance-t-elle. Optez pour des livraisons sans contact lorsque c'est possible, et portez un masque lorsque vous êtes à bord d'un véhicule ou lorsque la livraison sans contact n'est pas offerte. Et rappelez-vous que ces travailleurs ont un emploi très stressant au cœur d'une période très difficile. Soyez respectueux et faites preuve de gentillesse. »
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