Vieillir chez soi : comment un programme de réadaptation à domicile pourrait accroître la mobilité et allonger l’espérance de vie des patients ayant subi une fracture de la hanche
Un quart de seconde pourrait mener à une vie entière de douleur et de détérioration. En moyenne, une fracture de la hanche se produit toutes les 15 minutes au Canada. Pour ceux qui sont jeunes et en santé, ce n’est peut-être qu’un os cassé, mais pour la population vieillissante, une chute sur la glace ou au saut du lit pourrait être dévastatrice.
« Une fracture de la hanche chez une personne âgée peut causer un handicap permanent. Cela signifie que la personne pourrait ne plus jamais être capable de prendre soin d’elle, de faire l’épicerie ou de vivre de façon indépendante », explique le Dr Mohammad Auais, physiothérapeute et chercheur à l’Université Queen’s. « Chez les patients très fragiles, une fracture de la hanche pourrait même entraîner le décès en raison de complications comme l’embolie pulmonaire, les infections et l’insuffisance cardiaque. »
Comme la population mondiale vit de plus en plus longtemps, le Dr Auais prévoit que les fractures de la hanche représenteront un problème de santé majeur à l’échelle planétaire dans les décennies à venir. Habituellement, les personnes âgées qui subissent une fracture de la hanche se font opérer à l’hôpital et reçoivent des traitements intensifs de physiothérapie dans un centre de réadaptation pendant des semaines, et parfois même des mois. Durant cette période, la majorité des patients voient des améliorations considérables dans leur mobilité, et certains retrouvent presque l’amplitude de mouvement qu’ils avaient avant leur fracture. Le physiothérapeute affirme que c’est lorsque ces patients retournent à la maison, souvent sans le soutien adéquat, qu’ils commencent à régresser.
C’est en 2008, le Dr Auais a d’abord eu son idée. « J’ai constaté qu’il y avait des lacunes dans l’aide offerte aux patients : en effet, les statistiques nous indiquent que près de 70 % d’entre eux ne retrouvent pas leur état de santé préfacture un an après leur blessure. Ce sont donc 7 personnes sur 10 qui ne pourront plus effectuer les mêmes activités qu’avant la fracture. J’ai donc voulu mettre au point un nouveau programme ciblant les personnes âgées ayant subi une fracture de la hanche pour les aider à se rétablir à la maison. »
Créer de nouvelles manières de vieillir à la maison en toute sécurité
Il a d’abord lancé un projet pilote de petite envergure proposant aux personnes âgées un programme d’exercice personnalisé à domicile pour favoriser la réadaptation. Lorsque l’étude a pris fin en 2019, les résultats étaient clairs : la majorité des participants étaient satisfaits du programme et étaient restés sur la bonne voie pour retrouver leur mobilité et éventuellement réaliser leur objectif d’être plus indépendants. Le Dr Auais savait qu’il avait découvert quelque chose, mais il voulait tester sa théorie sur un plus grand groupe de patients à l’aide d’un programme intensif à domicile.
En 2020, grâce à un nouveau financement et à un plan d’étude étendu, le Dr Auais et son équipe de l’Université Queen’s ont lancé le programme Stronger at Home.
« Il s’agit d’une perspective prometteuse parce que nous pouvons nous appuyer sur les apprentissages tirés du projet pilote et les amener encore plus loin dans les prochaines années, explique-t-il. Nous avons aussi consulté des patients, des personnes âgées, des cliniciens, des chercheurs et des responsables des politiques pour ce nouveau programme, dans l’objectif non seulement d’améliorer le mouvement des patients ayant subi une fracture de la hanche, mais aussi de faire du programme le modèle le plus rentable pour le système de santé à long terme. »
Dans le cadre de Stronger at Home, l’équipe a créé deux ressources pour guider et soutenir les patients dans leur rétablissement à domicile. Le premier guide renseigne les patients ayant subi une fracture de la hanche sur ce qui les attend à leur retour à la maison et leur explique comment vaincre la peur de tomber et soulager la douleur. Le second guide est un programme d’exercice à domicile conçu spécialement pour chaque patient et présentant des traitements étendus de physiothérapie à domicile qui s’intensifieront graduellement.
Ce programme est donc un programme hybride unique : chaque patient recevra la visite de physiothérapeutes qui l’aideront à se familiariser avec un programme d’exercice personnalisé. Le patient sera ensuite responsable de suivre ce programme, sans supervision, entre les visites.
« Nous demandons aux patients quels sont leurs objectifs pour les deux prochaines semaines, ajoute le Dr Auais. Si leur objectif est de marcher autour de la maison ou de cuisiner, nous élaborerons un programme répondant à ces attentes. Le programme ne dépend pas de la présence du physiothérapeute à toutes les étapes : il vise surtout à aider le patient à se rétablir en sécurité tout en retrouvant son autonomie. »
Offrir aux patients ayant subi une fracture de la hanche un avenir plus autonome
L’équipe du Dr Auais espère recruter 200 patients dans la région de Kingston pour l’étude Stronger at Home, qui testera l’efficacité et la rentabilité du programme. La moitié des patients recevra la nouvelle trousse d’outils du programme, tandis que l’autre moitié recevra les soins habituels. L’équipe comparera ensuite les résultats des deux groupes. L’étude est un essai contrôlé non pharmaceutique, et l’intervention comprend un volet sur la prise en charge de la douleur.
« Comme les patients ressentent beaucoup de douleur après une fracture de la hanche, nous voulons leur offrir un traitement de la douleur non pharmaceutique, c’est-à-dire des techniques qui ne nécessitent pas de médicaments, explique le Dr Auais. Nous les renseignerons plutôt au sujet de la douleur et de la manière dont on peut la gérer en faisant de l’exercice et en renforçant sa force musculaire et son équilibre. »
Pour que les programmes d’exercice soient aussi accessibles que possible, les patients n’auront besoin d’aucun équipement particulier. Ils pourront plutôt utiliser des objets de la vie courante qu’ils possèdent déjà. « Nous voulons que cet essai imite la vraie vie pour voir si les résultats pourraient être appliqués à de plus grands groupes de patients ayant subi une fracture de la hanche. »
Des idées similaires ont été mises à l’essai partout dans le monde, mais le programme Stronger at Home est le premier en son genre au Canada, où la trousse d’outils et le modèle de soins sont considérés comme une innovation. Mohammad Auais souligne que non seulement ce type de recherche répond à un besoin urgent, mais qu’il a aussi des retombées directes sur la vie des Canadiens et Canadiennes et sur leur communauté. Bien que l’étude en soit encore à ses débuts, le chercheur prédit que le résultat pourrait changer la manière dont on traite les fractures de la hanche au Canada et possiblement dans le monde.
« Les hôpitaux donnent leur congé aux patients plus tôt en raison des contraintes liées aux coûts et à la disponibilité des lits, et on incite les médecins à renvoyer les patients chez eux plus tôt pour qu’ils vieillissent à la maison. Depuis dix ans, on constate qu’il y a plus de soutien offert aux personnes âgées dans la communauté, mais il y a encore un écart entre les soins de courte durée et la vie autonome à la maison. Nous désirons combler cet écart, et ainsi, sauver des vies. Nous voulons voir davantage d’adultes survivre et s’épanouir après une fracture de la hanche et croyons que le programme Stronger at Home contribuera à l’atteinte de cet objectif. »
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