L’utilisation de l’adrénaline par les ambulanciers pourrait changer du tout au tout
Une équipe de recherche de Unity Health Toronto demande aux premiers répondants de repenser l’utilisation classique de l’adrénaline en cas d’arrêt cardiaque
En bref
L’enjeu
Au Canada seulement, plus de 30 000 personnes sont victimes d’un arrêt cardiaque chaque année, et la plupart d’entre elles meurent de lésions cérébrales causées par l’absence de débit sanguin. L’utilisation classique d’adrénaline à forte dose aide le cœur, mais peut nuire au cerveau.
La recherche
L’essai clinique EpiDOSE est la première étude à tester les effets d’une faible dose totale d’adrénaline par rapport à l’utilisation classique pendant la réanimation cardiorespiratoire (RCR) chez les adultes victimes d’un arrêt cardiaque à l’extérieur de l’hôpital.
Les retombées
Les résultats de l’étude des Drs Dorian et Lin pourraient changer le traitement des arrêts cardiaques au Canada et dans le monde entier.
Lectures complémentaires
Et si la pratique médicale courante pour redémarrer le cœur n'était pas la bonne? Pire encore, si les connaissances à la base de cette pratique n'étaient pas du tout fondées sur la recherche sur les humains? Depuis plus de cinquante ans, la pratique courante pour traiter les arrêts cardiaques consiste à administrer 1 mg d'adrénaline toutes les trois à cinq minutes, sans limite totale. Bien qu'aucun médecin ne mette en doute l'efficacité de l'adrénaline dans les cas d'arrêt cardiaque, de plus en plus d'articles soulignent ses effets secondaires dévastateurs sur le cerveau.
Un essai clinique qui doit débuter cette année, mené par le Dr Paul Dorian, cardiologue, le Dr Steve Lin, urgentologue, et leur équipe à Unity Health Toronto, rassemble des ambulanciers paramédicaux des quatre coins du Canada pour repenser l'utilisation classique de l'adrénaline dans les cas d'arrêt cardiaque à l'extérieur de l'hôpital.
L'adrénaline à forte dose peut aider le cœur, mais nuire au cerveau
La plupart des personnes victimes d'un arrêt cardiaque meurent de lésions cérébrales causées par l'absence de débit sanguin – le cerveau est le maillon le plus faible, explique le Dr Dorian. Fait remarquable, les cellules cardiaques peuvent survivre jusqu'à 45 minutes sans oxygène, alors que les cellules cérébrales meurent en cinq minutes. L'adrénaline administrée dans le corps resserre les vaisseaux sanguins – afin de maintenir la tension artérielle lors d'une blessure –, mais ces vaisseaux sanguins resserrés réduisent par inadvertance le flux sanguin vers le cerveau.
« Nous pensons que l’adrénaline à forte dose aide le cœur, mais nuit aussi au cerveau; c’est pourquoi nous croyons que des doses plus faibles seront plus efficaces », explique le Dr Lin.
Cette étude canadienne n'est pas la seule à souligner les risques élevés de l'adrénaline utilisée sans limites. Il cite une étude britannique (en anglais seulement) dont les résultats ont été publiés durant la pandémie de COVID-19, révélant que si les injections d'adrénaline entraînent une légère augmentation du taux de survie des personnes qui subissent un arrêt cardiaque, elles comportent des risques neurologiques élevés. Un article à ce sujet porte le titre révélateur « Big study, small result » (en anglais seulement) [grande étude, petit résultat].
D’où vient la sagesse populaire sur l’adrénaline?
En bref, cette connaissance a été extrapolée à l'humain à partir d'études sur les animaux. « Une étude menée sur des animaux en 1950 suggérait qu'il fallait administrer le plus d'adrénaline possible, explique le Dr Dorian. L'idée qu'il ne devrait pas y avoir de limite relevait du simple bon sens – si le médicament est efficace, il suffit de continuer à l'administrer jusqu'à ce qu'il cesse de fonctionner ou que la situation change. »
Des recherches préliminaires effectuées sur des porcs en 2019 « ont montré provisoirement que de faibles doses d'adrénaline semblaient utiles, et de fortes doses, nuisibles », affirme-t-il. Le Dr Dorian fait maintenant passer l'étude de l'animal à l'humain, dans le but d'améliorer la pratique paramédicale.
Rapprocher la recherche médicale et la pratique paramédicale
Ce qui rend l'étude du Dr Dorian plus complexe est le rôle des services paramédicaux. Les ambulanciers paramédicaux sont généralement les premiers répondants sur les lieux lors d'un arrêt cardiaque, et cette étude ne porte pas sur les pratiques hospitalières, mais sur le traitement à l'extérieur de l'hôpital administré par les premiers répondants. Toutefois, il ne suffit pas de demander à un ambulancier s'il souhaite participer. Chaque municipalité dispose de son propre organisme de services paramédicaux indépendant des autres municipalités, et c'est là où réside l'écart entre le consensus médical et la pratique sur le terrain.
« Chaque organisme de services paramédicaux établit ses propres règles, explique le Dr Dorian, et chaque directeur médical préconise l'utilisation de l'adrénaline en cas d'arrêt cardiaque parce qu'elle est utilisée dans le monde entier et non en raison de données scientifiques. Il n'y a pas de règles formellement établies, en raison du manque de connaissances. »
Les obstacles bureaucratiques de la collaboration avec de nombreux organismes différents ont compliqué l'étude, mais il existe également des normes éthiques strictes qui s'appliquent lorsque les patients ne peuvent pas donner leur consentement, par exemple, lorsqu'ils sont inconscients. « Ce type d'étude est plus compliqué que la recherche médicale standard, car de nombreuses entités y participent, contrairement à des patients consentants seulement », explique le Dr Dorian.
Changer la pratique dans des centaines d'organismes de services paramédicaux en Amérique du Nord – sans compter le reste du monde – peut sembler impossible, mais cela s'est déjà produit. Les Drs Dorian et Lin espèrent que cet essai incitera les professionnels de la santé à revoir des pratiques médicales désuètes et, en fin de compte, à améliorer les chances des patients victimes d'un arrêt cardiaque.
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