Un traitement prometteur destiné aux patients atteints d’un cancer en phase terminale est peut-être le début d’une nouvelle ère

Des chercheurs d’Ottawa et de Vancouver mettent en place un réseau canadien visant à faciliter le traitement des personnes présentant une leucémie lymphoblastique aiguë et d’autres types de cancer

En septembre 2021, après que toutes les autres possibilités de traitement de sa leucémie ont été épuisées, Camille Leahy a entamé une thérapie immunocellulaire CAR-T dans le cadre d’un essai clinique pilote à l’Hôpital d’Ottawa. Elle a aujourd’hui vaincu son cancer. (Photo : Hôpital d’Ottawa)

En bref

L’enjeu

Bien qu’un traitement anticancéreux qui change la donne, connu sous le nom de traitement CAR-T, soit sur le marché canadien, de nombreux patients en phase terminale n’ont pas accès à ce traitement possiblement vital.

La recherche

Lors du premier essai clinique sur le traitement CAR-T fabriqué au Canada, 13 des 30 patients ont obtenu une réponse complète au traitement, c’est-à-dire que le cancer n’a pas été détecté à la suite du traitement. Deux autres patients ont présenté une réponse partielle, cinq ont présenté une évolution du cancer, et neuf sont décédés des suites de leur cancer. Un essai de phase II vise à élargir la portée de l’étude à 100 patients et à mettre en place un réseau de fabrication et de recherche clinique plus étendu dans l’ensemble du pays. Entretemps, un tout nouvel essai permettra de mettre à l’épreuve une approche novatrice du traitement CAR-T, qui n’a jamais été appliquée chez l’humain.

Les retombées

En règle générale, le traitement CAR-T est limité à un faible pourcentage de patients présentant une leucémie ou un lymphome. Si l’essai de phase II est concluant, il permettra d’élargir et de rendre plus équitable l’accès à un traitement anticancéreux révolutionnaire pouvant donner de l’espoir à tous les patients atteints d’un cancer en phase terminale, pris en charge dans le système de soins de santé canadien. En attendant, un essai probant de l’approche novatrice du traitement CAR-T pourrait ouvrir la voie à d’autres traitements novateurs contre le cancer.

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Un jour de janvier 2020, alors que Camille Leahy devait commencer un nouvel emploi dans un hôpital de Newmarket, en Ontario, elle s’est retrouvée au service d’urgence de l’établissement. La cause de sa douleur : une leucémie lymphoblastique aiguë. Pour Camille, une mère célibataire de 35 ans qui a dû quitter son emploi, le diagnostic a marqué le début d’un périple de trois ans.

Le premier cycle de chimiothérapie administré à Toronto a été inefficace. Après une deuxième série de traitements, le cancer est entré en rémission, mais les médecins recommandaient toujours une greffe de cellules souches. Six mois après la greffe, alors que Camille commençait à marcher un peu mieux et à retrouver un sentiment de normalité, le cancer est réapparu. Son médecin spécialiste de la leucémie lui a recommandé un nouveau cycle de chimiothérapie.

« Quand je l’ai entendu énumérer les médicaments, j’ai craqué », raconte Camille. « Nous étions en pleine pandémie et je ne pouvais pas recevoir la visite de mes proches ou de mes amis. Je lui ai dit : “Je ne pense pas que je pourrai répéter l’expérience. Et pourquoi réessayer quelque chose qui n’a pas fonctionné?” »

Par hasard, elle s’est entretenue avec un autre médecin qui lui avait parlé d’un autre traitement possible, quelque chose en rapport avec les lymphocytes CAR-T. À l’époque, elle n’y avait pas prêté attention, convaincue que la greffe de cellules souches serait la solution. Mais désormais, coûte que coûte en quête d’espoir, elle était prête à remettre le sujet sur le tapis. Il s’est avéré qu’un essai clinique sur les lymphocytes CAR-T allait débuter à l’Hôpital d’Ottawa.

« Tout le monde était d’accord pour dire que c’était ma dernière chance », confie Camille.

Un traitement du cancer du sang qui change la donne

Les lymphocytes T modifiés par un récepteur antigénique chimérique (CAR-T) sont un nouvel outil puissant pour traiter certains types de cancer du sang qui ne répondent pas aux traitements courants. Il consiste à isoler les lymphocytes T après les avoir prélevés du sang du patient, de les modifier en laboratoire de manière à ce qu’ils ciblent les lymphocytes B cancéreux, puis de les réinjecter au patient.

« Lorsque je suivais une formation à Boston en 2015, nous avons compris que ce procédé allait changer la donne », explique la Dre Natasha Kekre, hématologue et chercheuse à l’Hôpital d’Ottawa et professeure agrégée à l’Université d’Ottawa. « Mais il n’y a pas eu d’essais cliniques financés par le secteur public au Canada, et il faut de cinq à dix ans pour obtenir des résultats produits dans d’autres pays, puis obtenir une homologation au Canada et conclure des contrats avec des sociétés. C’est vraiment regrettable pour les patients canadiens. Je le constate directement, et c’est très difficile. »

Dre Natasha Kekre

Avec le soutien de collègues des quatre coins du pays, la Dre Kekre a entrepris de mettre sur pied un réseau de production de lymphocytes CAR-T au Canada, le programme CLIC (Canadian-Led Immunotherapies in Cancer). Le traitement, administré dans le cadre de l’étude initiale menée auprès de 60 patients, ciblait la protéine CD19, l’une des protéines exprimées à la surface des lymphocytes B cancéreux. Ce traitement inactive tous les lymphocytes B de l’organisme, qu’ils soient sains ou cancéreux. Mais comme les êtres humains peuvent vivre sans lymphocytes B, c’est un moyen idéal de lutter contre les cancers des lymphocytes B comme la leucémie lymphoblastique aiguë.

« La nouveauté de notre essai sur la protéine CD19 n’était pas la recherche d’un traitement CAR-T efficace », explique le Dr Kevin Hay, hématologue à l’organisme BC Cancer et codirecteur du programme CLIC avec la Dre Kekre. « Il s’agissait de déterminer comment nous allions mettre sur pied une plateforme de production dans le contexte d’un régime public de soins de santé et la mettre à la disposition des patients, des professionnels de la santé et des chercheurs en faisant connaître nos résultats et au moyen de collaborations. »

Les premiers essais américains devaient porter sur des patients suffisamment bien portants pour survivre pendant quatre à six semaines, le temps nécessaire à la production et à l’administration des lymphocytes CAR-T. Comme le délai d’obtention des lymphocytes CAR-T n’était que de 15 jours lors de l’étude sur la protéine CD19, les chercheurs canadiens ont décidé de sélectionner les patients les plus malades, des personnes qui n’avaient plus aucune autre option, comme Camille Leahy.

« Souvent, les patients très malades sont exclus des essais à visée commerciale parce que, en toute franchise, s’ils meurent, les résultats risquent d’être moins convaincants », explique la Dre Kekre. « Il a été extrêmement difficile de faire participer Camille à notre essai, car elle est tombée malade à plusieurs reprises, et j’ai dû annuler sans cesse. S’il s’était agi d’une étude commanditée par le secteur privé, même au Canada, elle aurait perdu sa place. »

Dans leur première étude publiée, les chercheurs rapportent qu’aucun cancer n’a été détecté chez 13 des 30 patients, autrement dit une « réponse complète ». Deux autres patients ont présenté une réponse partielle, cinq ont présenté une évolution du cancer, et neuf sont décédés des suites de leur cancer.

Lymphocytes CAR-T : la nouvelle génération

Dr Kevin Hay

« Ces traitements à base de lymphocytes T ont transformé les choses », déclare le Dr Hay. « Il est inouï d’obtenir des taux de survie allant de 30 à 50 %, mais d’un autre côté, il y a récidive chez 30 à 70 % des personnes, soit parce qu’elles rechutent après le traitement par CD19, soit parce que le traitement par CAR-T n’a pas fonctionné. »

Afin de démultiplier les bienfaits que procure le traitement par CAR-T aux personnes atteintes d’un cancer, le Dr Hay pousse encore plus loin cette méthode révolutionnaire.

Il se servira du financement octroyé par les IRSC pour mettre au point la prochaine génération de lymphocytes CAR-T. Il dirige, en collaboration avec le Conseil national de recherches Canada (CNRC), un essai de phase I sur la CD22, une autre protéine associée aux lymphocytes B cancéreux. Il espère que ce traitement sera bénéfique aux patients qui n’ont pas répondu au traitement par CD19 ou qui ont connu une récidive. Par conséquent, ce nouvel essai inclura des patients encore plus malades que ceux qui ont participé à l’étude initiale.

« L’essai sur la CD22 sera le premier où nous produisons une nouvelle thérapie CAR-T n’ayant jamais été testée chez l’humain », déclare la Dre Kekre. « Mais ce n’est qu’un début. Le CNRC travaille sur de nombreuses cibles, et il existe de nombreuses options de combinaison des lymphocytes CAR-T ou d’autres cibles. C’est un processus d’apprentissage. »

Créer un réseau pancanadien de production de lymphocytes CAR-T

Camille et sa fille Michela lors d’un match des Blue Jays de Toronto.

Forte de ces premiers résultats, la Dre Kekre a reçu du financement au titre du Fonds pour les essais cliniques des IRSC en vue d’un essai de phase II sur la protéine CD19 chez jusqu’à 100 patients. Mais surtout, l’équipe mettra en place six centres cliniques et quatre centres de production, ce qui permettra de répondre aux besoins de l’ensemble du pays.

« À terme, j’aimerais que la fabrication se fasse partout, mais Ottawa, Toronto, Winnipeg et Calgary représentent déjà un bon début », déclare la Dre Kekre. « On y trouve les infrastructures de laboratoire nécessaires, la motivation, le désir de collaborer et les patients souhaitant participer à des essais ».

L’accès aux centres cliniques est un élément capital. Camille Leahy, par exemple, a été admise à l’essai de phase I à Ottawa en partie parce qu’elle a pu séjourner par intermittence pendant un an chez une parente bienveillante qui vivait à proximité. En fait, sa cousine était une infirmière autorisée qui travaillait à l’Hôpital d’Ottawa. La création d’un réseau pancanadien peut contribuer à rendre l’accès aux soins plus équitable, de sorte que les patients n’aient pas à surmonter autant d’obstacles pour obtenir un traitement.

Le réseau permettra également de renforcer les capacités du système public de santé du Canada. « Les chercheurs et immunologues canadiens ne manquent pas d’idées brillantes », déclare le Dr Hay. « Nous voulons garder cette expertise au Canada et encourager l’innovation, ce qui se répercutera sur notre système de soins de santé. Si tous ces gens paient des impôts ici, ils soutiennent notre économie et créent des emplois, tout en améliorant les soins de santé. »

Toujours dans la course

Camille et sa fille Michela victorieuses de la course MUDGIRL.

Les travaux des chercheurs ont grandement attiré l’attention. Grâce au soutien du Canada et aux données produites, le Danemark, notamment, réalise un essai de même nature. En même temps, une équipe de documentaristes interrogera Camille Leahy sur son parcours.

Camille, aujourd’hui âgée de 38 ans, est l’une des 13 patientes qui n’ont présenté aucun signe de cancer après le traitement par lymphocytes CAR-T. Maintenant sans douleur, elle se déplace désormais sans canne ni déambulateur. En fait, au cours de l’été 2022, elle a participé avec sa fille adolescente à MUDGIRL, une course à obstacles de 5 km qui vise à amasser des fonds pour la recherche sur les cancers féminins.

« L’essai a pris fin il y a un an et demi, et je me sens très privilégiée et reconnaissante », confie Camille. « La peur est toujours là, mais j’essaie de me concentrer sur le moment présent. Je dis aux personnes atteintes d’un cancer de ne pas abandonner, même si on leur dit qu’il n’y a pas d’espoir. Il existe peut-être une autre option, alors il faut continuer à chercher. »

La Dre Kekre, le Dr Hay et un réseau de chercheurs continueront à soutenir sans relâche des patients comme Camille et à les aider à accéder à des traitements anticancéreux aux effets transformateurs.

Organismes de financement, partenaires et équipe de recherche du programme de thérapies immunocellulaires menées par le Canada (CLIC)

Instituts de recherche en santé du Canada, BioCanRx, BC Cancer, BC Cancer Foundation, Fondation de l’Hôpital d’Ottawa, Institut ontarien de recherche sur le cancer, Fondation du cancer de la région d’Ottawa, Société de leucémie et lymphome du Canada, Conseil national de recherche Canada, Centre de fabrication de produits biothérapeutiques de l’Hôpital d’Ottawa, Laboratoire d’immunothérapie de la famille Conconi de BC Cancer, Centre de méthodologie d’Ottawa, Groupe de recherche translationnelle Blueprint, Natasha Kekre, Harold Atkins, John Bell, Kevin Hay, Rob Holt, Brad Nelson, John Webb, Julie Nielsen, Manoj Lalu, Kednapa Thavorn, Dean Fergusson, Justin Presseau et Jen Quizi.

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