Lutter contre la résistance aux antimicrobiens grâce à l’approche intégrée « Une seule santé »
En bref
Enjeu
Nous avons généralement recours à des antibiotiques et d’autres médicaments antimicrobiens pour combattre les bactéries et certains parasites que l’on retrouve chez les humains, les animaux et les cultures. Toutefois, l’évolution naturelle des microbes et la surutilisation et l’utilisation inappropriée des antibiotiques compliquent la situation.
En effet, la résistance aux antimicrobiens (RAM) constitue désormais une menace sérieuse pour la santé humaine et animale, l’environnement et l’économie. La RAM est un défi qui est maintenant abordé par les tenants d’une approche « Une seule santé ». Cette approche favorise la collaboration entre des chercheurs de différentes disciplines dans l’étude de problèmes se trouvant à l’intersection de la santé humaine, animale et environnementale et permet de trouver des solutions communes en la matière.
Recherche
Grâce au financement des IRSC, des chercheurs de partout au pays adoptent l’approche « Une seule santé ». La Dre Jenine Leal, spécialiste en épidémiologie et en économie de la santé aux Services de santé de l’Alberta et à l’Université de Calgary, se concentre sur les répercussions économiques de la RAM. La Dre Cécile Aenishaenslin, vétérinaire et épidémiologiste à l’Université de Montréal, étudie les systèmes de surveillance de la RAM.
Impact
La Dre Leal a passé en revue les outils actuellement utilisés pour prédire la présence d’organismes résistants aux antimicrobiens dans les hôpitaux et a constaté que les principaux facteurs de risque pour les patients hospitalisés étaient les hospitalisations antérieures, l’exposition récente aux antibiotiques, ainsi que l’âge et le sexe. La Dre Aenishaenslin a élaboré un modèle d’évaluation des systèmes de surveillance de la RAM qui a été adopté par de nombreux pays.
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Les médicaments antimicrobiens, y compris les antibiotiques, les antiviraux, les antifongiques et les antiparasitaires, sont une pierre angulaire de la médecine moderne. En traitant les infections courantes et potentiellement mortelles chez les humains et les animaux, et en protégeant les plantes et les cultures, ces médicaments jouent un rôle essentiel dans la santé humaine et animale, ainsi que dans l'agriculture et la production alimentaire. Les microbes qui infectent les humains, les animaux et les plantes développent toutefois une résistance aux antimicrobiens (RAM), ce qui signifie que les infections et les blessures courantes deviennent plus difficiles à traiter. Cette réalité a de très vastes répercussions sur la santé humaine et les soins aux animaux, la sécurité alimentaire et l'économie.
« La résistance aux antimicrobiens est une pandémie silencieuse. Ce ne sont pas seulement les bactéries qui deviennent résistantes aux antimicrobiens, mais aussi les virus, les champignons et les parasites. Cela a des conséquences importantes, non seulement pour la santé humaine et animale, mais aussi pour l'environnement et le système de soins de santé », explique la Dre Jenine Leal, chercheuse scientifique aux Services de santé de l'Alberta et professeure adjointe au Département des sciences de la santé communautaire et au Département de la microbiologie, de l'immunologie et des maladies infectieuses de l'Université de Calgary.
Au Canada, selon un rapport d'un groupe d'experts du Conseil des académies canadiennes, 26 % des infections bactériennes chez les humains étaient résistantes aux antimicrobiens de première intention en 2018. Selon le rapport, on estime que les infections bactériennes résistantes aux médicaments ont été associées au décès de plus de 14 000 personnes au Canada au cours de la même année. Plus d'un tiers de ces décès auraient pu être évités si les antimicrobiens de première intention avaient été efficaces. Le groupe d'experts prévoit que la proportion d'infections résistantes aux antimicrobiens au Canada augmentera, passant de 26 % en 2018 à 40 % d'ici 2050. Dans ce scénario, le nombre de décès au Canada attribuables à la RAM ferait plus que doubler pour atteindre 13 700 par année.
De nombreux facteurs influencent le développement de la RAM, y compris l'évolution naturelle des microbes; la surutilisation et l'utilisation inappropriée des antimicrobiens en santé humaine, en santé animale et en agriculture; les disparités socioéconomiques et des systèmes de santé au Canada et à l'étranger; et le manque de nouveaux antimicrobiens et de solutions de rechange aux antimicrobiens existants. En juin 2023, en collaboration avec les peuples autochtones et leurs partenaires dans de multiples secteurs, les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux de la Santé et de l'Agriculture ont publié le Plan d'action pancanadien sur la résistance aux antimicrobiens. Ce plan quinquennal vise à coordonner et à accélérer la réponse du Canada à la RAM.
L'un des principes clés du plan d'action est « Une seule santé », une approche lancée par l'Organisation mondiale de la santé en 2017 qui est axée sur l'interaction entre la santé humaine, la santé animale et leur environnement commun. Grâce au financement des IRSC, les chercheurs évaluent le fardeau économique de la RAM sur le système de soins de santé et la société et conçoivent des outils pour mieux utiliser les données. Ils aident ainsi le Canada à s'attaquer aux défis à multiples facettes que pose la RAM.
Comprendre le coût de la RAM pour les systèmes de soins de santé
En tant qu'adolescente bénévole dans un service d'urgence de Toronto, Jenine Leal portait un équipement de protection individuelle pour interagir avec les patients à haut risque. L'expérience a éveillé son intérêt pour la prévention et le contrôle des infections, préparant ainsi le terrain à des études aux cycles supérieurs en épidémiologie. Après quelques années de travail dans le domaine, elle a poursuivi un doctorat en économie de la santé pour explorer les répercussions économiques de ces infections sur le système de soins de santé, et en particulier le rôle de la RAM.
Les répercussions économiques de la RAM sont considérables. On estime qu'en 2018, la RAM a coûté environ 1,4 milliard de dollars au système de santé canadien et a provoqué une baisse du PIB du Canada de 2,0 milliards de dollars. D'ici à 2050, l'économie pourrait perdre jusqu'à 21 milliards de dollars en raison de l'incidence de la RAM sur la productivité au travail. Cela entraînerait une baisse cumulée du produit intérieur brut de 388 milliards de dollars d'ici à 2050.
S'appuyant sur sa formation en épidémiologie, la Dre Leal utilise les dossiers médicaux informatisés pour évaluer les protocoles de dépistage hospitalier des organismes résistants aux antibiotiques en Alberta et en Ontario. Par exemple, les nouveaux patients font-ils l'objet d'un prélèvement lors de leur admission à l'hôpital afin de s'assurer qu'ils ne sont pas porteurs d'organismes résistants aux antibiotiques? Des enquêtes et des groupes de discussion avec le personnel infirmier sont également prévus pour mieux comprendre les défis posés par le dépistage de la RAM. En repérant les lacunes dans la manière dont les admissions sont gérées, elle peut commencer à déterminer les améliorations les plus rentables à apporter à ces protocoles de dépistage.
Une avenue intéressante serait d'utiliser l'intelligence artificielle pour déterminer quels patients admis présentent un risque élevé d'être porteurs d'organismes résistants aux antibiotiques à l'aide de dossiers médicaux informatisés et d'autres sources de données. Elle se concentre sur la compréhension des meilleurs outils pour prédire la présence de staphylocoque doré résistant à la méthicilline (SDRM) et d'organismes producteurs de carbapénémases (OPC).
Le SDRM est une bactérie staphylocoque qui résiste aux antibiotiques de première intention, notamment la méthicilline, l'oxacilline, la pénicilline et l'amoxicilline, tandis que les OPC sont des bactéries résistantes aux antibiotiques de deuxième intention, tels que les carbapénèmes. La Dre Leal a constaté que les facteurs de risque les plus courants, tels que l'exposition récente aux antibiotiques, l'âge et le sexe, permettent de prédire la présence d'organismes résistants aux antibiotiques chez les patients hospitalisés.
Élucider la RAM à travers le prisme des données quantitatives et qualitatives
Depuis plus de 20 ans, le Programme intégré canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens (PICRA) a grandement contribué à la lutte contre la RAM au Canada. Coordonné par le Centre des maladies infectieuses d'origine alimentaire, environnementale et zoonotique et le Laboratoire national de microbiologie de l'Agence de la santé publique du Canada, le PICRA recueille, analyse et communique les tendances en matière d'utilisation et de résistance aux antimicrobiens. Ces dernières années, le programme a intégré l'approche « Une seule santé » dans son système de surveillance, mais la quantité incroyable de données disponibles peut être intimidante.
« Ils disposent d'un gigantesque réseau de partenaires issus de différentes disciplines. Composé de partenaires variés, ce réseau comprend des producteurs utilisant des antimicrobiens dans leurs exploitations agricoles, des membres de l'industrie pharmaceutique et des cliniciens. De plus, chaque province recueille et traite les données différemment. Nous avons parfois tendance à croire que plus nous avons des données, mieux c'est. Peut-être devrions-nous nous demander de quels renseignements nous avons besoin pour prendre de meilleures décisions », explique la Dre Aenishaenslin, vétérinaire et épidémiologiste à l'Université de Montréal.
Dans cette optique, la Dre Aenishaenslin a mené une étude sur la façon dont le PICRA avait intégré l'approche « Une seule santé » dans les systèmes de surveillance de l'utilisation des antimicrobiens et de la résistance à ces derniers. « Nous avons découvert un changement de paradigme dans la façon dont les gens comprennent les données », dit-elle. Elle a constaté que l'équipe du PICRA collabore avec de nombreux partenaires dans le domaine pour aider à interpréter et à diffuser les résultats de la surveillance. Ces collaborations de longue date ont contribué à établir un climat de confiance, notamment avec l'industrie de la production animale, ce qui a encouragé des changements dans les pratiques d'utilisation des antimicrobiens. Par exemple, le PICRA a largement contribué à l'interdiction volontaire de l'utilisation du ceftiofur par l'industrie de la volaille – un antibiotique utilisé pour contrôler les infections des voies respiratoires.
« Pour la plupart de mes projets, j'ai recours à des méthodes quantitatives et qualitatives pour analyser les approches de type "Une seule santé", y compris des entretiens individuels et des groupes de discussion. Les deux méthodes sont importantes pour comprendre comment l'approche "Une seule santé" apporte une valeur ajoutée à la surveillance. Nous nous devons d'entendre différents points de vue pour donner un sens à sa complexité », dit-elle.
En partenariat avec le PICRA, la Dre Aenishaenslin et son équipe ont élaboré un cadre qui examine dans quelle mesure le système de surveillance de la RAM intègre l'approche « Une seule santé », produit des renseignements et une expertise connexes, dégage les tendances et accroît la sensibilisation, influence les politiques et mène à la prise de meilleures décisions.
La Dre Aenishaenslin dirige également un réseau international qui s'efforce d'améliorer les méthodes d'évaluation des systèmes actuels de surveillance de l'utilisation des antimicrobiens et de la résistance à ces derniers. Grâce à ce réseau, des pays comme la France, l'Italie et le Danemark ont adopté le cadre mis au point par la Dre Aenishaenslin et son équipe. Le réseau documente la manière dont les différents pays évaluent l'approche « Une seule santé » en matière de surveillance et met en place un ensemble de pratiques exemplaires sur son site Web.
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