Décorticage des aliments ultratransformés : détermination des priorités de recherche
Résumé d’une séance virtuelle d’échanges Meilleurs Cerveaux
Description de la séance
Les 11 et 12 juin 2024, la Direction des aliments et de la nutrition de Santé Canada a collaboré avec les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), plus précisément avec l’Institut du cancer (IC) et l’Institut de la nutrition, du métabolisme et du diabète (INMD) des IRSC, pour organiser une séance d’échanges Meilleurs Cerveaux (EMC) intitulée « Décorticage des aliments ultratransformés : détermination des priorités de recherche ». Des chercheurs canadiens et étrangers, des bailleurs de fonds de la recherche non gouvernementaux et des fonctionnaires fédéraux travaillant dans le domaine de la recherche sur l’alimentation et la nutrition se sont joints à Santé Canada et aux IRSC pour discuter des connaissances actuelles sur le lien entre la consommation d’aliments ultratransformés et la santé et pour déterminer les lacunes dans les connaissances et les priorités de recherche pertinentes pour la santé publique. Compte tenu des fortes indications d’un lien entre les aliments ultratransformés et les mauvaises issues de santé ainsi que de la place grandissante qu’occupent ces aliments dans les assiettes des Canadiens et Canadiennes, des recherches approfondies s’imposent pour orienter les politiques alimentaires et nutritionnelles visant à réduire les conséquences de l’alimentation sur la santé.
Objectifs
Cette séance visait à examiner l’incidence de la consommation d’aliments ultratransformés sur la santé pour définir les priorités de recherche et les lacunes dans les connaissances à ce sujet. Les trois principaux objectifs étaient les suivants :
- Discuter de ce que l’on sait à propos de la consommation d’aliments ultratransformés, y compris la nature et l’étendue de la vulnérabilité de la population à ces produits.
- Cerner les graves lacunes en matière de données probantes concernant le lien entre la consommation d’aliments ultratransformés et la santé.
- Déterminer les priorités de recherche pour combler les lacunes relevées.
Contexte
L’emprise des aliments ultratransformés sur l’approvisionnement alimentaire est indéniable : on estime qu’ils représentent près de la moitié de toute l’énergie consommée au CanadaNote en bas de page 1. Voilà pourquoi, au cours des dix dernières années, les recherches sur le lien entre la consommation de ces aliments et les résultats en matière de santé se sont multipliées partout dans le monde. C’est d’ailleurs la classification alimentaire NOVA, y compris sa définition des aliments ultratransformés (« formulations d’ingrédients, pour la plupart à usage industriel exclusif, généralement créées par une série de techniques et de processus industriels »)Note en bas de page 2, qui est la plus couramment utilisée dans ces études. Les résultats de plusieurs revues systématiques et métarevues récentes, qui consistaient à combiner et à analyser des données probantes épidémiologiques, se recoupent et montrent qu’une consommation accrue d’aliments ultratransformés est associée à un risque élevé d’avoir des problèmes de santé, comme le surpoids, l’obésité, les troubles de santé mentale, le diabète de type 2, certains cancers et les maladies cardiovasculairesNote en bas de page 3, Note en bas de page 4, Note en bas de page 5. Toutefois, le degré de certitude des données probantes a été jugé faible. Un essai contrôlé randomisé a également montré qu’une alimentation riche en aliments ultratransformés engendre une hausse de l’apport calorique et une prise de poids comparativement à une alimentation à base d’aliments peu ou pas transformésNote en bas de page 6. Bref, les recherches entreprises pour comprendre ce lien et les effets particuliers des aliments ultratransformés se font de plus en plus nombreuses.
Il s’agit d’un domaine de recherche émergent et complexe qui mérite une attention particulière compte tenu de la place importante qu’occupent ces aliments dans les assiettes des Canadiens et Canadiennes ainsi que des signes inquiétants concernant leurs effets sur la santé. Cette séance d’EMC a été conçue pour déterminer les lacunes dans les connaissances et accélérer la recherche en vue d’accroître le degré de certitude des données probantes.
Thèmes de la discussion
La discussion s’est articulée autour de deux thèmes principaux :
Le lien entre la consommation d’aliments ultratransformés et la santé
- Le lien entre la consommation d’aliments ultratransformés et les résultats en matière de santé : données découlant d’essais cliniques et d’études d’observation et d’intervention
- Défis de la classification de données sur l’apport alimentaire en fonction du degré de transformation des aliments; collecte et interprétation des données sur l’apport alimentaire
- S’attaquer à l’hétérogénéité des aliments ultratransformés pour comprendre leurs répercussions sur la santé
Attributs potentiels, séquences et mécanismes plausibles des aliments ultratransformés
- Aperçu des séquences des effets potentielles et des mécanismes hypothétiques
- La matrice alimentaire : conséquences de l’ultratransformation des aliments pour la santé
- Maîtriser sa consommation : les caractéristiques des aliments ultratransformés qui influent sur la vitesse d’ingestion et poussent à la surconsommation
- Comment le corps réagit-il aux aliments ultratransformés? Mécanismes biologiques : ce que nous savons de l’influence néfaste de certaines caractéristiques de ces aliments sur le microbiote intestinal et l’inflammation
Formule
Un petit nombre de participants ont été invités à faire de brèves présentations pour stimuler la réflexion sur des sujets propres à chaque thème. Ces présentations étaient suivies d’une discussion dirigée et d’échanges en petits groupes. Les points saillants des discussions sont présentés ci-dessous.
Le lien entre la consommation d’aliments ultratransformés et la santé
Le lien entre la consommation d’aliments ultratransformés et les résultats en matière de santé
- La recherche épidémiologique montre un lien entre la consommation d’aliments ultratransformés et plusieurs issues de santé néfastes. Toutefois, selon le système GRADE (Grading of Recommendations, Assessment, Development and Evaluation), le degré de certitude des données probantes a été jugé « faible » en raison du manque d’essais contrôlés randomisés et de doutes concernant la précision des mesures de consommation utilisées.
- L’association entre la consommation d’aliments ultratransformés et la santé ne peut pas être entièrement expliquée par le rôle des nutriments.
- L’étude du degré de transformation des aliments indépendamment de la composition nutritionnelle jette un nouvel éclairage sur l’apport alimentaire et la santé.
- Les résultats du premier et seul essai contrôlé randomisé sur le sujet ont montré qu’un régime riche en aliments ultratransformés fait gagner du poids et augmenter la graisse corporelle par rapport à un régime composé d’aliments peu ou pas transformés, et ce, même si le nombre de calories et la teneur en nutriments sont identiques.
- Bien que les essais contrôlés randomisés soient reconnus comme la norme d’excellence pour l’étude des relations de cause à effet, plusieurs facteurs limitent leur utilisation pour étudier les effets à long terme de ces aliments — préoccupations d’ordre éthique, coûts et défis logistiques — comme c’est le cas pour la plupart des recherches dans le domaine de la nutrition.
Défis de la classification de données sur l’apport alimentaire en fonction du degré de transformation des aliments : méthodologie
- Les efforts des chercheurs en faveur d’approches méthodologiques cohérentes se poursuivent. Les outils conventionnels de mesure de l’apport alimentaire ne conviennent pas à la collecte ni à l’analyse des données en fonction du degré de transformation des aliments. L’évaluation de l’exposition pourrait être améliorée par la consignation de détails comme la marque des produits, la méthode de préparation et le lieu.
- La précision de la classification des aliments en fonction de leur degré de transformation s’améliore lorsque l’on utilise des outils validés pour évaluer la consommation d’aliments ultratransformés.
- Les données ne confirment pas les affirmations selon lesquelles les aliments ultratransformés sont systématiquement mal classés ou que la classification erronée est biaisée en faveur d’une surestimation des associations.
- Les analyses de sensibilité effectuées dans le cadre d’études de cohortes de grande envergure ont montré que les tendances du risque ne changent pas même en tenant compte des erreurs de classification potentielles, ce qui porte à croire que ces erreurs ne font pas systématiquement augmenter les associations observées.
S’attaquer à l’hétérogénéité des aliments ultratransformés pour comprendre leurs répercussions sur la santé
- De grandes études de cohortes multicentriques ont montré qu’il était possible d’évaluer la consommation d’aliments ultratransformés en fonction de données provenant de différents systèmes alimentaires, environnements alimentaires et types d’aliments ultratransformés.
- Les biomarqueurs peuvent être utilisés pour valider l’harmonisation de données hétérogènes sur l’apport alimentaire.
- L’hétérogénéité au sein de la catégorie des aliments ultratransformés peut être étudiée en analysant des sous-groupes d’aliments ultratransformés présentant des caractéristiques différentes.
- Certaines études ont montré que les sous-groupes d’aliments ultratransformés (définis par les chercheurs) n’étaient pas tous associés de la même façon au risque de multimorbidité cardiométabolique et cancéreuse.
Attributs potentiels, séquences et mécanismes plausibles des aliments ultratransformés
Séquences des effets potentielles et mécanismes hypothétiques
- Plusieurs séquences des effets potentielles ont été cernées dans la littérature et reflètent les répercussions de différentes propriétés des aliments ultratransformés, y compris une faible qualité nutritionnelle, des modifications de la matrice et de la texture des aliments, des contaminants provenant de la transformation et de l’emballage, des additifs, des ingrédients industriels et le caractère hyper appétissant de ces aliments.
- Les efforts de synthèse de la recherche sur les mécanismes sont entravés par des problèmes de comparabilité entre les études, qui comprennent des définitions incohérentes des mécanismes potentiels, de l’exposition aux aliments ultratransformés et des critères. Il faut améliorer ce travail de synthèse, surtout en ce qui a trait à la qualité des méthodes de revue systématique (p. ex. l’utilisation d’énoncés bien définis selon la méthode PECO [population, exposition, comparateur, critère de jugement] et l’évaluation d’expositions homogènes), pour faire la lumière sur les attributs qui mènent systématiquement aux mauvaises issues de santé observées.
- Pour mieux comprendre le lien de causalité, il faut pousser les recherches de manière à cerner les propriétés propres aux aliments ultratransformés qui mènent à des données probantes cohérentes sur leurs effets néfastes sur la santé.
Des aliments ultratransformés et hyper appétissants
- Les aliments deviennent hyper appétissants en raison d’une combinaison d’ingrédients à teneur élevée en lipides et en sodium, en lipides et en sucres, ou en glucides et en sodium, par exemple.
- Beaucoup d’aliments ultratransformés sont hyper appétissants.
- Les aliments ultratransformés qui augmentent le plaisir de manger par leur caractère appétissant peuvent nuire à la santé en incitant à la suralimentation et à la consommation de calories excédentaires ou d’autres attributs uniques des aliments ultratransformés.
La matrice alimentaire : conséquences de l’ultratransformation des aliments pour la santé
- Les aliments complets et leurs dérivés ultratransformés n’ont pas la même structure physique (matrice alimentaire) et ne sont pas digérés de la même façon.
- Les combinaisons de composés isolés provenant d’aliments complets qui sont présents dans les aliments ultratransformés ne déclenchent pas les mêmes réponses physiologiques que les aliments complets d’origine.
- Des simulations ont montré des différences majeures dans la manière dont les aliments complets et les aliments ultratransformés sont digérés par le tube digestif supérieur et les intestins, ce qui laisse entrevoir des séquences potentielles pour les effets néfastes observés.
Le microbiote intestinal et l’inflammation
- Le microbiote intestinal peut protéger le corps contre les agents pathogènes et contribuer à l’équilibre du système immunitaire. Dans certaines situations, toutefois, le microbiote intestinal peut également contribuer à l’inflammation chronique et aux problèmes métaboliques. Son effet sur la santé n’est pas encore bien compris et fait l’objet de multiples recherches.
- Par exemple, les aliments ultratransformés contiennent souvent des émulsifiants, type d’ingrédient qui affecte le microbiote intestinal. Il s’agit d’additifs utilisés pour améliorer la texture et prolonger la durée de conservation des aliments. Or, il a été démontré que certains émulsifiants provoquent une inflammation et une colite chez des souris prédisposées à la colite, mais pas chez d’autres. La recherche sur des sujets humains a également établi un lien entre certains émulsifiants alimentaires et des maladies chroniques et inflammatoires chez les personnes sensibles, ce qui rejoint les résultats des études sur les souris.
Lacunes dans les connaissances et facteurs à considérer
Les présentations et les discussions qui ont eu lieu en petits groupes et en plénière ont permis de dégager plusieurs questions, lacunes dans les connaissances et facteurs à considérer. Même si la séance d’EMC ne cherchait pas à obtenir un consensus et qu’aucune priorité de recherche précise n’a été déterminée, certaines recommandations ont été formulées pour les prochaines étapes.
Épidémiologie
- Améliorer les outils d’évaluation de l’apport alimentaire afin de mieux analyser la consommation d’aliments ultratransformés (p. ex. capacité à documenter la consommation avec une granularité suffisante; capacité à classer les aliments en fonction de leur degré de transformation en ajoutant des renseignements sur les additifs).
- Étudier de manière plus approfondie certaines relations encore floues, comme celle entre la consommation d’aliments ultratransformés et l’apparition précoce de cancers.
- Examiner sérieusement la nécessité d’une sous-catégorisation des aliments ultratransformés en recherche et l’approche à adopter à cet égard, et en fournir une justification théorique (p. ex. catégorisation en fonction d’un attribut ou d’un mécanisme supposé).
Séquences des effets et mécanismes
Les participants ont noté que la recherche dans ce domaine est balbutiante et ont suggéré les mesures suivantes pour enrichir les connaissances :
- Élaborer des essais cliniques hautement susceptibles de préciser les mécanismes d’un ou de deux résultats en matière de santé et utiliser ces enseignements pour orienter d’autres travaux de recherche.
- Classer par ordre de priorité les séquences des effets menant à la surconsommation, comme les composants de la matrice alimentaire et les éléments des processus digestifs (p. ex. les répercussions de la matrice alimentaire sur la satiété, le taux d’absorption et le temps de transit).
- Faire preuve d’ouverture face à d’autres façons d’étudier l’incidence des aliments ultratransformés sur la santé qui peuvent différer des études conventionnelles sur la nutrition et l’alimentation.
- Exploiter les méthodes multiomiques, par exemple cerner les biomarqueurs métaboliques pour confirmer l’exposition, puis travailler à rebours pour examiner les mécanismes.
- Utiliser des analyses de médiation pour préciser les mécanismes potentiels.
Généralisation des résultats à l’ensemble des populations
La plupart des recherches portant sur l’effet de la consommation d’aliments ultratransformés sur la santé concernent des adultes. Des suggestions ont été faites pour élargir la base de données probantes afin de comprendre les facteurs propres à d’autres populations et d’améliorer la généralisation des résultats. Celles-ci comptent les points suivants :
- Tenir compte de tout le cycle de vie dans la recherche pour comprendre les répercussions de la consommation d’aliments ultratransformés à différentes étapes, notamment la grossesse, la première enfance, la petite enfance et la vieillesse.
- Intégrer des considérations d’équité et de diversité à la conception des études de cohorte. L’inclusion de communautés sous-représentées permettrait de mettre en lumière toute incidence disproportionnée.
Facteurs conduisant à la consommation d’aliments ultratransformés
Les participants ont noté qu’il est important de comprendre les facteurs généraux qui influent sur la consommation d’aliments ultratransformés en prenant entre autres les mesures suivantes :
- Examiner les facteurs qui favorisent une consommation accrue ou disproportionnée d’aliments ultratransformés dans la population et chercher à mieux les comprendre (p. ex. les déterminants commerciaux de la santé ou le coût et l’accessibilité des aliments ultratransformés).
- Compléter les études épidémiologiques et mécanistes sur la consommation d’aliments ultratransformés et la santé par des recherches dans le domaine des sciences sociales afin d’arriver à une compréhension globale de la question à l’échelle de la population.
Méthodes de recherche pour renforcer les données probantes
Les suggestions suivantes ont été émises concernant la fiabilité des recherches sur la façon dont les aliments ultratransformés influencent la santé :
- Améliorer les méthodes de revue systématique afin d’accroître la qualité des résultats.
- Veiller à ce que le dosage utilisé pour préciser les voies de causalité dans le cadre d’études animales soit approprié pour appliquer les résultats au contexte humain; utiliser des protocoles de recherche normalisés pour faciliter l’approbation des résultats.
- Soutenir davantage d’essais contrôlés randomisés; mener des essais sur des sujets humains en imposant des conditions alimentaires strictes, et ce, dans des installations appropriées (p. ex. chambres métaboliques ou installations domestiques).
- Accélérer la production de connaissances en utilisant diverses méthodes et approches; trianguler les résultats pour tenir compte des complexités de l’exposition aux aliments.
- Envisager d’utiliser des biomarqueurs ou d’autres outils nouveaux pour valider l’exposition aux aliments ultratransformés.
- Effectuer des analyses de médiation formelles pour comprendre et préciser les mécanismes.
Conclusion
Santé Canada continuera à suivre l’évolution des données probantes. Depuis la séance d’EMC de juin 2024, la science sur les aliments ultratransformés et la santé a progressé et de nouveaux domaines d’intérêt ont émergé.
Santé Canada ainsi que l’INMD et l’IC des IRSC remercient les membres du comité de planification pour l’organisation de la séance et tiennent à saluer la volonté des conférenciers et des participants de mettre leur expertise au service de cette cause.
Renseignements
Pour en savoir plus sur le Programme d’échanges Meilleurs Cerveaux, visitez le site Web des IRSC .
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