Dre Nancy Gibson
Apprendre à écouter : la recherche participative communautaire
CIET Canada (Université McGill) et Université de l'Alberta
« J'ai appris que sans la compétence des partenaires de la collectivité, ma recherche ne fonctionne tout simplement pas. Heureusement, je l'ai appris il y a bien longtemps. »
Chercheuse principale à CIET Canada (Université McGill) et professeure émérite à l'Université de l'Alberta, la Dre Gibson est une pionnière de la recherche participative communautaire (RPC). Elle continue à travailler avec les collectivités autochtones du Nord canadien.
Deux expériences de son passé ont façonné ses méthodes de recherche : son travail en Sierra Leone a fait ressortir les limites du modèle universitaire, et les projets menés à Edmonton ont mis en évidence l'importance de faire participer la collectivité. « En 1996, en Sierra Leone, je travaillais avec des guérisseurs traditionnels, et les objectifs de ma recherche étaient de trouver ce qu'ils avaient en commun, pour les aider à organiser un programme national. La réponse tirée de cette recherche était : “pas beaucoup, vraiment”, affirme la Dre Gibson. Regrouper les données et mener les types d'analyses universitaires consacrées par le temps n'étaient pas suffisants. Le travail des guérisseurs est complexe et couvre une vaste gamme de techniques et de connaissances. Leur perspective ne pouvait être adéquatement saisie dans une méthode de recherche structurée menée par une personne de l'extérieur; il me fallait participer au travail des guérisseurs pour les aider à atteindre leur objectif. J'ai réalisé [dans mon travail sur la tuberculose] que les gens savent ce qui est nécessaire; ils connaissent leur propre structure et leurs forces. Je mets désormais en pratique un modèle de recherche très différent, où j'examine chaque question et me demande “où sont les personnes qui connaissent ce problème? Quelles sont les méthodes qui fonctionneront le mieux avec elles?” À titre de chercheuse universitaire, j'ai appris à chercher des partenaires communautaires possédant des connaissances essentielles, les anciens, les chefs, les jeunes, les infirmières et les travailleurs en santé communautaire, par exemple. »
La Dre Gibson a appliqué tout récemment cette méthode dans un projet mené avec les collectivités tlichos dans les Territoires du Nord-Ouest. Les dirigeants de la collectivité s'inquiétaient des taux élevés d'infections transmissibles sexuellement (ITS). Si des cas de VIH surgissaient, le virus se répandrait comme une traînée de poudre. Les membres de la collectivité ont parcouru la région afin de donner de l'information sur la santé sexuelle et la prévention des ITS sous l'éclairage de la culture tlicho. Par contre, pour fournir des renseignements ciblés, ils avaient besoin d'une image plus claire de la mesure dans laquelle la collectivité comprenait la santé sexuelle. L'Agence des services communautaires tlichos a fait équipe avec des chercheurs de l'Université de l'Alberta et de CIET Canada. Seize membres de la collectivité, dans le cadre du programme de santé sexuelle subventionné par les IRSC, ont suivi une formation poussée sur les pratiques d'enquête et l'éthique. L'équipe a pu toucher dans son sondage les deux tiers de la population de jeunes et d'adultes de la région des Tlichos en 2006.
Les résultats du sondage ont donné naissance à un plan d'action exhaustif, mais les priorités de la collectivité ont changé, et les membres de l'équipe communautaire ont été occupés à d'autres responsabilités, de sorte que l'élan initial s'est perdu. Demeurer réceptif aux priorités de la collectivité et renforcer les capacités à l'intérieur de celle-ci sont essentiels pour garantir la continuité, dit la Dre Gibson : « À titre d'universitaire, j'ai eu le privilège de passer approximativement 40 % de mon temps à faire de la recherche – il n'en va pas de même pour les membres autochtones de l'équipe. Les membres de la collectivité ont une vie complexe, leurs priorités et leurs responsabilités changent. Nous devons aller au-delà de la recherche et appuyer une permanence et un renforcement des capacités. »
En 2009, les taux d'ITS dans la région des Tlichos demeuraient très élevés, et la menace du VIH était toujours présente. La Dre Gibson a participé aux efforts de renforcement des capacités en aidant à réunir une équipe de recherche en action communautaire (ERAC). L'équipe était composée de jeunes adultes de la collectivité, nommés à des postes permanents à plein temps. La formation appuyée par le CIET, également enracinée dans la culture et l'histoire des Tlichos, a doté les membres de l'équipe de diverses compétences et techniques touchant la recherche et les sondages, les groupes de discussion, les entrevues et l'évaluation. Guidée par un comité d'anciens et par les représentants de la collectivité, l'ERAC a lancé des interventions culturellement pertinentes reposant sur les éléments de preuve ressortis au cours du sondage et sur ses propres recherches; d'après les premiers indices, l'équipe est parvenue à faire mieux connaître les questions de santé sexuelle dans la collectivité et a pu réduire les taux d'ITS. Maintenant dans sa cinquième année, l'ERAC continue à servir de modèle en matière de renforcement des capacités et d'interventions culturellement appropriées et a mis au point une série de DVD communautaires en tant que stratégie d'éducation. En 2012, les taux d'ITS étaient plus bas, et aucun nouveau cas de syphilis n'a été recensé. Si les taux des autres ITS continuent à augmenter et à chuter, l'ERAC lance immédiatement des interventions communautaires.
La Dre Gibson fait remarquer que la RPC a beaucoup évolué en 20 ans. « Nous sommes passés d'une situation où les universitaires étaient les experts à un environnement où les collectivités assument le contrôle de la recherche et sélectionnent leurs propres priorités en matière de renforcement des capacités. Les collectivités apprennent les unes des autres, et c'est vraiment exaltant. Je les aide encore à réunir les compétences pertinentes, mais je n'ai pas à diriger les efforts très longtemps. »
« Et j'apprends encore, poursuit la Dre Gibson. J'apprends à bien écouter les priorités de la collectivité et à reconnaître qu'elles changent. Apprendre à être un partenaire de la recherche, à écouter et à répondre est un processus qui dure toute une vie. »
L'Association canadienne de recherche sur le VIH, l'Initiative de recherche sur le VIH/sida des IRSC, la Fondation canadienne de recherche sur le sida (FCRS), le Réseau canadien pour les essais VIH (RCEV) des IRSC, ainsi que le Bureau de coordination de l'Alliance de recherche et de développement de l'Initiative canadienne de vaccin contre le VIH aimeraient remercier la Dre Gibson et les collectivités des Tlichos de leur apport à notre compréhension de la santé et des ITS au Canada. Leur travail s'inscrit dans le cadre d'un vaste effort canadien de recherche qui améliore le sort des personnes touchées par le VIH, au Canada et dans le monde.
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