Imaginer l'après-pandémie : 10 possibilités de renforcer les systèmes de santé publique du Canada
Résumé
Résumé
En raison des vastes répercussions de la pandémie de COVID-19 et de la visibilité élevée de la réponse de la santé publique, nous avons aujourd'hui une occasion unique de faire le point sur les problèmes persistants et les nouvelles possibilités qui caractérisent les systèmes de santé publique au Canada. Nous avons ici consciemment eu recours à la marque du pluriel puisque le système public de santé au Canada ne relève pas d’un unique système national, mais plutôt d’un amalgame de nombreux organismes et entités de santé publique à l’échelle nationale, provinciale, territoriale, autochtone et locale. Dans la foulée de cette initiative, l’Institut de la santé publique et des populations des Instituts de recherche en santé du Canada (ISPP des IRSC) a mené au printemps 2021 des échanges à l’échelle nationale avec les acteurs du milieu de la santé publique. Ces échanges ont permis de cerner les principales priorités et actions permettant de bâtir des systèmes publics de santé efficaces pour lutter contre les menaces actuelles et émergentes ainsi que pour servir l’ensemble de la population canadienne. Les séances de discussion ont révélé que nous vivons actuellement un moment charnière, où le besoin de changement systémique coexiste avec un potentiel énorme pour l'évolution de la santé publique au Canada.
Les participants ont souligné plusieurs sources de pression pesant depuis longtemps sur les systèmes de santé publique du Canada qui ont entravé la réponse à la COVID-19 et qui continuent de réduire notre capacité à nous concentrer sur d'autres problèmes de santé publique urgents, comme l'équité en santé et les effets des changements climatiques. Bien que ces enjeux systémiques datent d'avant la crise actuelle, la pandémie a clairement mis en évidence l'impossibilité de maintenir le statu quo et le besoin de reprioriser les changements fondamentaux dans tous les systèmes de santé publique. Voici les principaux problèmes mentionnés par les participants aux conversations :
- L'incapacité du secteur tout entier de mettre l'équité au centre de la santé publique et de construire des systèmes antiracistes et anticoloniaux fait en sorte que les structures de gouvernance, de pratique, de recherche et de formation perpétuent les iniquités structurelles.
- Le sous-financement chronique de la santé publique et de la recherche dans le domaine n'arrive pas à répondre aux vastes besoins de santé publique en matière de déterminants sociaux, structurels et écologiques de la santé.
- Il n'y a pas de consensus national quant à la portée et aux fonctions des différents systèmes de santé publique, et la santé publique n'est pas à l'abri des compressions budgétaires et des restructurations, ce à quoi s'ajoute un manque d'uniformité dans les objectifs de santé publique et de santé en général des divers gouvernements canadiens.
- On manque de clarté concernant les rôles, responsabilités et autorités dans les structures de gouvernance, ce qui affaiblit la responsabilisation et nuit à la coordination; le besoin des autorités en santé publique d'atteindre un équilibre entre le maintien de leur indépendance et leur influence politique vient complexifier davantage la situation.
- La capacité d'appoint insuffisante des systèmes de santé publique nuit à la capacité de répondre à l'accroissement des besoins en ressources humaines en temps de crise et réduit les occasions d'intégrer les connaissances de la communauté dans les interventions d'urgence.
- L'absence de données et de travaux de recherche en lien avec les systèmes, les effectifs et les besoins de santé publique au pays crée de sérieux obstacles à la mesure, à l'évaluation et à la comparaison des systèmes et approches, et freine les progrès en matière d'équité.
- L'absence de reconnaissance par les différents ordres de gouvernement de la dimension communautaire de la santé publique résulte en une mise à l'écart dans les discussions politiques des experts et praticiens locaux, qui sont pourtant ceux qui interagissent avec les communautés aux premières lignes.
- Les structures favorisant la participation communautaire et le partage des pouvoirs dans les processus de recherche et de prise de décisions sont inadéquates, ce qui peut entraîner l'application d'interventions en santé publique et la création de produits de connaissances non pertinents et nuisibles.
- Il y a des faiblesses dans la communication et le ciblage des recommandations de santé publique, ce qui peut mener à la création de messages qui ne tiennent pas compte des particularités de groupes précis, ignorent la méfiance envers le système et ne protègent pas les gens contre la mésinformation.
- Le manque de liens et de coordination entre les milieux de la recherche, de la formation et de la pratique en santé publique nuit à la création de connaissances et à la mobilisation en ce qui a trait aux questions opérationnelles, et crée une distance entre les sujets de recherche, les programmes de formation et les besoins des systèmes.
Certes, ces problèmes n'ont rien de nouveau, mais la pandémie de COVID-19 et notre réponse ont une ampleur sans précédent et touchent la société tout entière; nous avons là une occasion d'opérer des changements systémiques à un moment caractérisé par la rapidité des innovations technologiques, une prise de conscience du racisme, du colonialisme et des iniquités institutionnalisés, et d'une participation grandissante de la population aux processus de prise de décisions en santé publique. Les séances de discussion ont permis de mettre en évidence 10 possibilités interreliées et façons de transformer le contexte unique dans lequel nous évoluons en actions systémiques.
- 1. Faire progresser l'équité
Il faudrait se servir de la sensibilisation croissante de certaines autorités de santé publique et de l'accroissement de leurs efforts pour créer des systèmes équitables, antiracistes et anticoloniaux afin de mettre en place des stratégies comprenant des engagements à long terme en matière de ressources et de responsabilisation qui sont guidées par les connaissances et les priorités des communautés pertinentes.
- 2. Accroître le financement
On devrait miser sur la visibilité de la réponse à la pandémie par le système de santé publique pour demander un accroissement des investissements en santé publique et une stabilisation du financement de la recherche en santé publique.
- 3. Créer des structures de gouvernance
La collaboration intersectorielle qui a caractérisé la réponse à la pandémie a créé des bases prometteuses et constitue une occasion majeure d'officialiser des structures de gouvernance qui intègrent une approche mobilisant l'ensemble du gouvernement pour améliorer les déterminants de la santé et l'équité en santé.
- 4. Suivre les tendances mondiales
La pandémie a très clairement illustré les liens entre la santé locale et mondiale, ce qui devrait justifier le développement d'un plan cohérent à long terme harmonisant les stratégies et objectifs locaux du Canada aux politiques et efforts de représentation en santé mondiale.
- 5. Définir des normes
La visibilité accrue de la santé publique, la reconnaissance des contributions à la santé et à l'équité en santé – intersectorielles et en amont – et les appels à l'action pour des interventions urgentes et coordonnées s'attaquant aux menaces actuelles créent une occasion de définir un ensemble cohérent de fonctions et services essentiels pour les systèmes de santé publique du Canada.
- 6. Réexaminer les compétences centrales
Les leçons tirées de la pandémie dans des domaines comme la préparation aux crises, les communications publiques et les relations avec la communauté doivent se traduire par le développement ensemble de compétences modernisées et renforcées qui répondent aux défis, besoins et iniquités futurs en santé publique.
- 7. Générer des données
Pour bâtir les systèmes de santé publique de demain, nous devrons mieux comprendre comment planifier, exécuter, structurer et évaluer les services de santé publique, et baser le processus sur des données de recherches propres au contexte et des données fiables.
- 8. Renforcer les ressources de base
Nous devrons utiliser ce que nous avons appris durant la pandémie sur les conséquences du maintien d'une capacité d'appoint inadéquate pour justifier un investissement dans l'amélioration de la capacité d'adaptation et de mobilisation du système durant les périodes de forte demande; cela pourra se faire par le renforcement des systèmes de données, l'établissement de liens entre la formation et la pratique et l'investissement dans les relations avec le personnel de première ligne des communautés, ce qui permettra d'intégrer le savoir local aux interventions d'urgence futures.
- 9. Renforcer les partenariats communautaires
Il faudrait s'inspirer de la capacité avérée des initiatives locales, des approches de coplanification et de la participation de la population à guider la mise en place d'interventions équitables en réaction à la pandémie pour élaborer des stratégies à long terme qui amplifieront la participation et l'autorité des personnes qui ont des connaissances locales ou une expérience concrète dans les domaines de la gouvernance, de la planification et de la mise en œuvre des services de santé publique.
- 10. Établir des liens entre la recherche et la pratique
Nous savons à quel point il a été difficile de mettre en relation la recherche, la formation et la pratique, tant avant la pandémie que pendant celle-ci – et à quel point les interventions rapides ont su efficacement intégrer les nouvelles données et connaissances dans les interventions en santé publique –; nous devrions apprendre de ce constat pour stimuler l'expansion et le renforcement des postes de praticien-chercheur, des programmes de formation intégrée et des réseaux de génération et de mobilisation des connaissances.
Nous avons besoin d'agir maintenant pour nous occuper de la santé de nos communautés, de notre pays et de la planète. Les conclusions énoncées dans le présent document peuvent constituer un guide permettant de réfléchir à des domaines cibles du secteur de la santé publique où il faudrait accroître les investissements et opérer des changements systémiques. Toute décision future devra toutefois être fondée sur des données probantes, et pour beaucoup des possibilités mentionnées ci-dessus, nous devrons effectuer davantage de recherches pour comprendre comment relever les défis futurs et améliorer la santé des populations. Nous espérons que ce compte rendu saura inspirer les initiatives nécessaires pour bâtir un avenir où les systèmes de santé publique au Canada sont plus solides et équitables.
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