Passion et ténacité : comment la recherche fondamentale s’attaque à une forme agressive de cancer du sein
Avant que la Dre Juliet Daniel ne devienne la pionnière en biologie du cancer qu'elle est aujourd'hui, elle étudiait dans l'espoir d'un jour devenir médecin. Or, après plusieurs tragédies personnelles, elle s'est rendu compte qu'elle avait une tout autre vocation.
« Je suis venue au Canada en 1983 pour étudier la médecine, explique-t-elle. Or, durant la dernière année de mes études de premier cycle, ma voisine à la Barbade est décédée des suites du cancer du sein. Quelques mois plus tard, ma mère a reçu un diagnostic de cancer de l'ovaire. Elle est décédée peu de temps après, et c'est là que j'ai pris conscience que je ne voulais pas être médecin. Je voulais devenir scientifique et contribuer à trouver un remède contre le cancer. »
Plus de 30 ans plus tard, la Dre Daniel est en voie d'y parvenir. En tant que chercheuse principale au Dr. Juliet Daniel Lab (en anglais seulement), à l'Université McMaster, elle cherche à comprendre les causes d'un type agressif de cancer du sein appelé cancer du sein triple négatif (CSTN) dans le but de trouver un remède potentiel.
Les statistiques montrent que son travail est absolument crucial. Malgré une meilleure conscientisation et la multiplication des thérapies et traitements, le cancer du sein reste l'un des cancers les plus répandus sur la planète, comptant pour plus de 12 % de tous les cancers en 2020. Il représente aussi la cause de décès lié au cancer la plus courante chez les femmes dans le monde.
Ce qui distingue le CSTN, toutefois, c'est qu'il a un taux de mortalité plus élevé que tout autre type de cancer du sein et qu'il touche de manière disproportionnée les jeunes femmes noires.
« En général, les femmes noires sont moins susceptibles d'être touchées par un cancer du sein que les femmes blanches. Mais lorsqu'elles reçoivent un diagnostic de cancer, elles sont plus susceptibles d'avoir un CSTN, explique la chercheuse. Ce type de cancer est beaucoup plus agressif que les autres et se propage très rapidement vers les organes vitaux. Actuellement, il n'existe aucun traitement ciblé contre le CSTN. Le traitement se limite à la radiothérapie et à la chimiothérapie, qui peuvent être très éprouvantes physiquement et qui ne réussiront pas nécessairement à éradiquer les cellules cancéreuses. Pour toutes ces raisons, on a constaté que les femmes atteintes de ce type de cancer ont de faibles chances de survie. »
Appuyés par une équipe multidisciplinaire composée d'étudiants de premier cycle, de diplômés et d'étudiants au doctorat, les travaux de la Dre Daniel examinent pourquoi ce type de cancer survient chez les femmes noires, et comment nous pouvons le prévenir et le traiter pour sauver des vies, au Canada et partout dans le monde.
La recherche fondamentale mène à une découverte révolutionnaire
La raison pour laquelle le CSTN touche les femmes noires de façon disproportionnée échappe depuis des années aux spécialistes de la recherche sur le cancer, et le mystère n'est toujours pas entièrement résolu.
Si certains problèmes de santé peuvent être causés par des déterminants sociaux (l'insécurité alimentaire et un faible revenu peuvent par exemple augmenter le risque de problèmes de santé comme le diabète), la recherche antérieure entourant le CSTN n'a pas trouvé de facteurs évidents indiquant que ce type de cancer serait plus susceptible de survenir chez des femmes noires en raison de facteurs sociaux ou socioéconomiques. Conclusion : des facteurs biologiques et génétiques inconnus pourraient être en cause.
En 2012, la Dre Daniel a fait une découverte majeure appuyant cette hypothèse. Elle a constaté qu'un gène nommé « Kaiso » – qu'elle avait elle-même découvert et baptisé en 1999 – était plus fortement exprimé dans les tissus de cancer du sein des femmes noires que dans ceux des femmes blanches. Elle a aussi découvert que les femmes présentent une expression importante de ce gène particulier avaient moins de chances de survivre au cancer du sein.
« À l'époque, mon équipe et moi cherchions à comprendre pourquoi le cancer se propage d'une partie du corps vers une autre. Comme il s'agissait de recherche fondamentale, nous ne savions pas quels résultats nous allions obtenir ni comment ils pourraient s'appliquer à la santé humaine. Or, nous sommes tombés sur une étude qui examinait si le gène Kaiso était fortement exprimé dans les tissus du CSTN – et la réponse était oui! Cela m'a amené à étudier le lien entre Kaiso et ce type de cancer. »
Dans les années qui ont suivi, la Dre Daniel et son équipe ont commencé à approfondir cette étude pour vérifier si le gène Kaiso jouait un rôle dans la propagation du CSTN chez les femmes noires. Sans savoir exactement ce que leur recherche révèlerait, l'équipe a mené une série d'expériences dans laquelle elle a réduit l'expression de Kaiso dans les cellules du CSTN chez l'humain et a injecté ces cellules modifiées dans les coussinets adipeux mammaires de souris. Ce faisant, l'équipe a découvert que le cancer n'avait pas métastasé, c'est-à-dire qu'il ne s'était pas propagé vers les autres parties du corps comme il l'avait fait chez les souris ayant reçu des cellules cancéreuses humaines présentant une forte expression de Kaiso.
Cette découverte a offert une partie importante de la solution : elle suggérait que le gène Kaiso représentait un facteur important de la propagation du CSTN dans le corps.
« Ce constat a changé la donne, explique la Dre Daniel. Non seulement il a démontré que Kaiso favorisait la propagation et la survie des cellules du CSTN, mais il nous a également ouvert la possibilité de voir si c'est le cas pour d'autres types de cancer. De plus, maintenant que nous savons que ce gène favorise la prolifération des cellules cancéreuses, cela signifie que nous sommes en voie de mettre au point un traitement ciblé qui pourrait réduire l'expression de ce gène et stopper la propagation du cancer. »
Étudier de nouveaux traitements pour améliorer les résultats cliniques
Depuis la publication (en anglais seulement) des résultats de son équipe en 2017, la Dre Daniel examine ce à quoi un traitement potentiel pourrait ressembler, de même que la manière dont Kaiso pourrait entretemps être utilisé comme outil pronostique ou diagnostique.
« Un peu comme les approches actuelles employées dans les tests génétiques pour le cancer du sein, l'examen des niveaux de Kaiso exprimés chez les femmes d'ascendance africaine pourrait nous aider à déterminer si elles ont un risque plus élevé d'être atteintes d'un CSTN, particulièrement si elles ont des antécédents familiaux de cancer du sein. Cela pourrait aider les femmes à prendre des décisions éclairées concernant leur santé et même à sauver des vies. »
Bien que le mystère persiste à savoir pourquoi le gène Kaiso est beaucoup plus présent chez les femmes noires que les femmes blanches, la Dre Daniel et son équipe ne baissent pas les bras et continuent de chercher des réponses.
« Tous les jours, mon équipe mène une série d'expériences en biologie cellulaire moléculaire et examine des tissus de cancer du sein provenant de femmes noires de l'Afrique occidentale ou des Caraïbes pour comprendre le lien entre tous ces facteurs. C'est un travail passionnant, parce que nous ne savons pas nécessairement où il nous mènera ni ce que nous découvrirons, mais c'est aussi un travail frustrant, car entretemps, des femmes continuent de développer des CSTN et d'en mourir. Ce travail est crucial, mais il nécessite du temps, de l'argent et des ressources. Nous ne pouvons pas trouver un remède contre le cancer du jour au lendemain, mais nous faisons de notre mieux pour en jeter les bases. »
La persévérance, la passion et la motivation de la Dre Daniel découlent de son expérience personnelle avec le cancer.
« Malheureusement, la médecine n'a pas pu éviter le décès de ma voisine ni de ma mère des suites du cancer il y a toutes ces années. J'espère qu'un jour, mon travail contribuera à traiter et à sauver des femmes noires et des femmes de toutes les origines, dans les Caraïbes, au Canada et partout dans le monde. »
La recherche de la Dre Daniel est financée par les Instituts de recherche en santé du Canada, le CRSNG, la FCCS/SCC, la Juravinski Cancer Foundation et BRIGHT Run.
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