Les bons soins au bon moment : favoriser l’équité et l’accès à des soins de première ligne de qualité au Canada
Lorsque vous tombez malade, devez passer un examen médical, avez besoin d'une ordonnance ou voulez un conseil pour améliorer votre santé en général, à qui vous adressez-vous normalement? La plupart des Canadiens et Canadiennes répondront certainement qu'ils s'adressent à leur médecin de famille ou à leur fournisseur de soins de première ligne.
Mais pour plus de cinq millions de personnes – soit environ 15 % de la population –, c'est impossible, car elles n'en ont pas. La Dre Emily Gard Marshall, professeure au Département de médecine familiale de l'Université Dalhousie, a été dans cette situation.
« Durant les trois ans qui ont suivi mon arrivée en Nouvelle-Écosse, je n'ai pas pu trouver de médecin de famille – alors que je travaillais au Département de médecine! –, se remémore-t-elle. À cette époque, la Nouvelle-Écosse avait plus de médecins par habitant que toute autre province, donc en théorie, je n'aurais pas dû avoir de mal à en trouver un. Pourtant si. Et je n'étais pas la seule. »
Cette expérience personnelle a finalement conduit la Dre Marshall à étudier pendant dix ans les difficultés auxquelles se heurtent les Canadiens et Canadiennes qui veulent obtenir des soins de première ligne et à trouver des moyens de les résoudre afin que les « patients orphelins » – c'est-à-dire les patients n'ayant pas de fournisseur de soins de première ligne – puissent être rattachés à un médecin de famille.
« Il faut souvent de nombreuses années pour qu'une relation s'établisse entre un patient et son médecin de famille ou son fournisseur de soins de première ligne, ce qui est dans l'intérêt du patient, car le professionnel peut ainsi acquérir une connaissance approfondie de ses antécédents médicaux et de ses objectifs de santé, explique la Dre Marshall. Mais au-delà de ça, les soins de première ligne sont un point d'entrée important dans le système de soins de santé global. Pour consulter un spécialiste, le patient devra probablement avoir une ordonnance d'un médecin de famille ou d'un infirmier praticien. S'il a besoin de soins complexes et d'un plan de traitement personnalisé, il lui faudra obtenir des services de soins de première ligne pendant tout ce processus. Sans fournisseur de soins de première ligne, il devient très difficile de gérer ce genre de situation. »
Le manque d'accès aux soins de première ligne peut également avoir des répercussions sur d'autres composantes du système de soins de santé, car il arrive que des patients n'ayant pas d'autre choix finissent aux urgences à cause de la résurgence d'une maladie chronique ou de l'aggravation de leurs symptômes. Certaines de ces visites, voire de ces admissions, à l'hôpital pourraient probablement être évitées si les patients avaient un fournisseur de soins de première ligne pour diagnostiquer, traiter et prendre en charge leur maladie plus tôt. Au bout du compte, on économiserait du temps et des ressources précieuses pour l'hôpital et on améliorerait la qualité des soins pour les patients.
« On me demande parfois comment la recherche peut contribuer à résoudre un si gros problème, confie la Dre Marshall. Je suis consciente que ce qui intéresse d'abord les gens, ce sont généralement les ressources, donc je leur dis que nous devons concevoir de meilleurs modèles de soins, évaluer les besoins et élaborer de nouvelles approches pour rendre notre système de soins de santé plus équitable. La recherche nous permet de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et pourquoi. Ces données sont indispensables si nous voulons faire en sorte que l'ensemble de la population tire pleinement profit de nos ressources de soins de santé. »
Une approche interdisciplinaire pour un enjeu interdisciplinaire
Même si la population canadienne est fière de son solide système de santé, auquel elle est très attachée, la Dre Marshall assure qu'on peut certainement faire mieux – notamment en matière de soins de santé de première ligne. Mais malheureusement, il n'existe pas de recette universelle.
« En choisissant une solution qui résout un seul problème, nous pourrions par inadvertance en créer de nouveaux dans un autre champ du système de santé », avertit la Dre Marshall. Disons par exemple que nous voulons réduire le nombre de patients orphelins au Canada en leur facilitant l'accès à un médecin de famille. Les gouvernements pourraient adopter une politique qui oblige les médecins à augmenter leur nombre de patients, mais cette décision pourrait rapidement provoquer des épuisements professionnels et altérer la qualité des soins, ce qui nous ramènerait à la case départ.
« En ce sens, trouver des solutions réalistes s’apparente souvent à un numéro d’équilibriste. Ce sont des problèmes complexes qui requièrent des solutions tout aussi complexes. C’est pourquoi, dans mes recherches, je travaille avec des patients, des médecins, des fournisseurs de soins de santé, des responsables des politiques, des organismes communautaires et des chercheurs de diverses disciplines. De cette manière, nous pouvons analyser les problèmes sous tous les angles et trouver les meilleures solutions possibles pour l’ensemble des parties prenantes. »
Pour résoudre ces problèmes, il faut recueillir des données auprès de différentes sources afin de brosser un tableau aussi complet que possible des difficultés auxquelles se heurtent les gens qui veulent accéder à des soins de première ligne. Cela nécessite de s'entretenir avec des patients orphelins et des fournisseurs de soins de santé, de réaliser et d'analyser des sondages, d'évaluer des politiques de santé et de passer en revue des dossiers administratifs de santé pour en dégager des tendances. À mesure qu'elles recueillent ces données, il devient plus facile pour la Dre Marshall et son équipe de mettre en évidence les lacunes existantes, le cas échéant, et de trouver des façons de les combler.
« Par exemple, nous savons grâce à nos recherches que les femmes ont plus de chances que les hommes d'être rattachées à un médecin ou à un fournisseur de soins de première ligne, en raison notamment de leurs besoins en matière de santé reproductive, de l'adolescence à l'âge adulte, et de leur socialisation, explique la Dre Marshall. À l'adolescence, elles peuvent aller voir un médecin pour obtenir une méthode contraceptive, puis retourner le voir au début de la vingtaine pour effectuer leur premier test Pap, et le rencontrer plusieurs fois peut-être lors de leur grossesse, si elles décident d'avoir un enfant. Pour les hommes, au contraire, les occasions d'aller chez le médecin sont moins nombreuses. En outre, nous savons qu'il existe des préjugés empêchant certains hommes de demander de l'aide concernant leur santé physique et mentale. Ce sont des obstacles dont il faut également tenir compte dans nos recherches. »
Optimiser les soins de santé grâce aux quatre grands objectifs
La Dre Marshall et son équipe entendent améliorer les soins de santé de première ligne en s'appuyant sur ce que les spécialistes appellent les « quatre grands objectifs ». L'idée est d'adapter ce modèle – dont le but est d'améliorer le système de soins de santé de première ligne en ciblant quatre domaines : l'expérience du patient, l'expérience de l'équipe de soins, les coûts et la santé globale de la population – de manière à traiter explicitement des questions d'équité et d'accès aux soins.
En utilisant les quatre objectifs comme un modèle, on renforce l'interdépendance potentielle des quatre domaines : une amélioration dans un domaine peut avoir des répercussions – positives ou négatives – sur les autres. Par exemple, améliorer l'expérience des patients et des médecins pourrait améliorer la santé globale de la population, mais risquerait d'accroître les coûts pesant sur le système de soins de santé. De même, réduire les coûts pourrait détériorer l'expérience des patients et des médecins, et ainsi n'apporter que des améliorations minimes à la santé de la population.
« Le cadre des quatre objectifs est un modèle fantastique pour montrer à quel point les soins de santé ne se résument pas à une question de rapidité des soins, insiste la Dre Marshall. Notre système de santé est précisément un système. Quand une partie du système ne fonctionne pas, le reste du système en subit les conséquences. Donc, si nous voulons aider plus de patients orphelins à obtenir des soins de première ligne et à trouver un médecin de famille, nous devons considérer tous les autres facteurs qui entrent en ligne de compte. »
Les quatre objectifs – et plus généralement les recherches de la Dre Marshall – visent à garantir que les patients puissent obtenir les bons soins, au bon moment, chez le bon fournisseur. Selon la chercheuse, ces gains d'efficacité permettraient d'optimiser notre système de santé, ce qui réduirait les coûts et génèrerait des économies.
« Je repense à mon arrivée en Nouvelle-Écosse et aux difficultés que je rencontrais pour trouver un médecin de famille. J'étais si frustrée de ne pas pouvoir recevoir les soins dont j'avais besoin, confie la chercheuse. Nous avons un excellent système de soins de santé ici au Canada, mais il y a encore des gens qui sont laissés pour compte. J'espère que mon travail permettra d'aider ces patients ainsi que l'ensemble des Canadiens à recevoir les soins dont ils ont besoin. »
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