Une réorganisation des moments où nous mangeons et faisons de l’exercice pourrait réduire le risque de diabète de type 2
Des chercheurs canadiens et néerlandais tentent de déterminer si des changements apportés au mode de vie à des moments clés de la journée peuvent aider à rétablir le rythme de 24 heures des personnes à risque élevé de développer le diabète de type 2.
En bref
L’enjeu
Les progrès technologiques et sociétaux, comme l’utilisation excessive de lumières artificielles la nuit (aussi désignée pollution lumineuse), les écrans numériques, le travail par quarts, le va-et-vient entre fuseaux horaires et la disponibilité continue des aliments, dérèglent notre horloge interne en raison du décalage entre nos repères lumineux et nos repères comportementaux. On pense aujourd’hui que cette désynchronisation circadienne contribue à la hausse des taux de diabète de type 2. Au Canada, 30 % de la population vit avec le diabète ou le prédiabète, et 10 % en a reçu le diagnostic.
La recherche
Une équipe internationale de scientifiques du Canada et des Pays-Bas collabore avec des patients et des partenaires des secteurs public et privé pour mieux comprendre comment le dérèglement de notre système circadien expose certaines personnes à un risque plus élevé de diabète de type 2, et déterminer ce qui peut être fait pour rétablir la synchronisation avec l’horloge biologique.
Les retombées
Apportés à des moments clés, des changements au mode de vie, comme la consommation de la majorité de nos calories quotidiennes en début de journée et la pratique de l’exercice en après-midi, pourraient fournir un nouvel outil pour lutter contre le diabète de type 2.
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Est-ce que le fait de manger un copieux déjeuner santé, de s’entraîner plus tard dans la journée et de dormir à des moments appropriés pourrait réduire le risque de développer le diabète de type 2? C’est ce que d’éminents scientifiques du Canada et des Pays-Bas étudient dans le cadre d’une collaboration internationale unique portant sur la façon dont des changements apportés au mode de vie à des moments clés de la journée peuvent prévenir, contrôler et même faire régresser une maladie chronique qui touche jusqu’à 10 % de la population.
« Le diabète de type 2 est habituellement associé à l’obésité », a déclaré le Dr Norman Rosenblum, directeur scientifique de l’Institut de la nutrition, du métabolisme et du diabète des IRSC. « Mais ce n’est pas le seul facteur de risque. Beaucoup de personnes en pleine forme en sont aussi atteintes. Le diabète de type 2 est une maladie complexe qui peut entraîner des complications extrêmement graves, dont la cécité, l’insuffisance rénale, les maladies cardiovasculaires, l’amputation et la mort prématurée. »
Afin de mieux comprendre et de mieux gérer la question du diabète de type 2, les IRSC ont établi des partenariats avec des organismes de financement de la recherche aux Pays-Bas (la Fondation néerlandaise de recherche sur le diabète, l’Organisation pour la recherche et le développement en santé des Pays-Bas [ZonMw] et Health~Holland) en vue d’investir plus de 5,6 millions de dollars sur cinq ans dans le consortium de recherche Pays-Bas–Canada sur le diabète de type 2. Celui-ci, intitulé « Le bon moment pour prévenir le diabète de type 2 » ou « TIMED », est dirigé par le Dr Patrick Schrauwen de l’Université de Maastricht aux Pays-Bas et le Dr André Carpentier de l’Université de Sherbrooke au Québec, en collaboration avec cinq chercheurs du Canada et sept des Pays-Bas, et fait intervenir plus de 40 stagiaires et patients partenaires des deux pays.
La contribution du Canada au consortium s’inscrit dans l’initiative des IRSC L’insuline a 100 ans : accélérer les découvertes canadiennes pour lutter contre le diabète qui, au cours des deux dernières années, a financé à hauteur de 13 millions de dollars 23 équipes de recherche, dont le consortium TIMED. Ce financement s’ajoute aux plus de 250 millions de dollars que les IRSC ont investis dans le diabète au cours des cinq dernières années.
Le lien entre notre rythme circadien et le diabète
Le domaine en pleine évolution de la chronobiologie offre de nouvelles perspectives et des solutions potentielles pour lutter contre le diabète. Un nombre croissant de données probantes suggèrent qu’une mauvaise synchronisation entre l’horloge biologique et les comportements augmente le risque de diabète de type 2. Autrement dit, le fait de passer une grande partie de la journée sous un éclairage artificiel et sous-optimal ainsi que d’être actif physiquement et de consommer des aliments et des boissons à des moments où l’horloge biologique n’est peut-être pas préparée de façon optimale nuit à la capacité du corps de réguler adéquatement les réponses physiologiques à ces activités.
Le corps des mammifères comprend deux horloges internes principales : l’horloge neuronale centrale qui se trouve dans le cerveau, et un ensemble d’horloges périphériques qui se trouvent dans les muscles, le foie et d’autres tissus.
Des chercheurs néerlandais ont déjà conclu que les personnes ayant une prédisposition au diabète de type 2 ont des rythmes circadiens métaboliques déréglés. D’autres études montrent que les personnes qui travaillent par quarts sont également plus susceptibles de développer le diabète de type 2. Le consortium TIMED examine comment le fait de manger ou de faire de l’exercice à différents moments de la journée affecte la réponse métabolique du corps et sa capacité à métaboliser le glucose et les graisses.
« Le diabète est une maladie qui touche plusieurs systèmes du corps, pas seulement le pancréas ou les muscles. Par conséquent, il est important d’adopter une approche multisystémique qui tient compte de la synchronisation de ces deux horloges pour comprendre la transition du prédiabète vers le diabète de type 2 », explique le Dr Carpentier, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en imagerie moléculaire du diabète et professeur et clinicien-chercheur à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke.
La génétique et les mauvaises habitudes d’alimentation et d’exercice sont des facteurs de risque bien connus pour le diabète, mais des études récentes prouvent que d’autres mécanismes auraient un rôle à y jouer. Les chercheurs croient de plus en plus que les progrès technologiques et sociétaux, comme l’utilisation excessive de lumières artificielles la nuit (aussi désignée pollution lumineuse), les écrans numériques émettant de la lumière, le travail par quarts, le va-et-vient entre fuseaux horaires ainsi que la disponibilité continue des aliments, font des ravages sur nos rythmes circadiens et leur capacité à réguler nos réponses physiologiques à l’alimentation et à l’activité.
Par exemple, des données récentes suggèrent que les humains d’aujourd’hui répartissent leur apport alimentaire sur plus de 15 heures par jour. Par conséquent, le corps n’est jamais dans un véritable état de jeûne, où le taux de glucose est normalement bas. Une étude menée par le Dr Patrick Schrauwen de l’Université de Maastricht examine si la restriction des aliments à une période plus courte pendant la journée entraînera une réduction plus importante de la forme stockée de glucose (appelé glycogène), améliorant ainsi la sensibilité à l’insuline chez les personnes atteintes de diabète de type 2.
« Par le passé, la majeure partie de l’alimentation et de l’activité physique survenait pendant les heures de clarté », a déclaré le Dr Joris Hoeks, expert en physiologie des muscles humains à l’Université de Maastricht et cochercheur au sein de l’équipe TIMED. « Nous croyons vraiment que les perturbations modernes de notre horloge biologique causent des problèmes métaboliques qui peuvent contribuer au développement de la résistance à l’insuline et à l’apparition du diabète de type 2. Le but de notre projet est de rétablir une meilleure synchronisation entre l’horloge biologique, l’environnement extérieur et nos comportements. »
Une autre étude (en anglais seulement) récente des Pays-Bas a révélé que l’activité physique modérée à vigoureuse, comme la marche rapide ou le vélo, s’est révélée plus efficace pour contrôler la glycémie si elle était pratiquée l’après-midi ou le soir plutôt que le matin.
Patients en tant que participants et chercheurs
Des changements de mode de vie susceptibles d’aider à prévenir, à contrôler et à faire régresser le diabète de type 2
- Consommer la majorité de ses calories tôt dans la journée
- Faire de l’exercice en après-midi ou en début de soirée
- Dormir quand il fait noir
Le consortium TIMED mène trois types d’études en collaboration avec des patients et des partenaires privés à chaque niveau : des essais physiologiques, épidémiologiques et pragmatiques.
« La participation des patients a été l’une des grandes réalisations de la recherche en santé au Canada au cours des dix dernières années, stimulée par la Stratégie de recherche axée sur le patient des IRSC, a déclaré le Dr Rosenblum. Dans toutes les recherches sur le diabète que nous finançons, la participation des patients est essentielle et doit commencer dès le début et se poursuivre tout au long du processus. »
Les personnes qui vivent avec le diabète de type 2 et le prédiabète sont d’abord interviewées pour comprendre leurs expériences de vie avec la maladie et leur point de vue sur les avantages et les obstacles potentiels à l’intégration d’interventions à des moments différents dans leur vie quotidienne. Elles seront également interrogées sur leur consommation de nourriture et leur exercice sur des périodes de 24 heures.
Pour en savoir plus, les épidémiologistes de l’équipe TIMED explorent les données sur les patients recueillies dans le cadre d’études longitudinales existantes, y compris l’Étude longitudinale canadienne sur le vieillissement, l’Aerobics Center Longitudinal Study et plusieurs cohortes européennes. Des journaux pour consigner l’alimentation et l’activité physique ainsi que d’autres renseignements provenant de milliers de participants seront combinés afin de produire des données probantes encore plus solides pour éclairer les nouvelles interventions.
« L’avantage d’avoir ces cohortes existantes, c’est qu’elles ont une fenêtre à long terme, s’étendant sur des années, voire des décennies, donc les chercheurs vont pouvoir identifier les personnes qui développent le diabète et savoir si les interventions mises en œuvre influencent le développement de la maladie, explique le Dr Carpentier. Grâce à l’essai pragmatique, nous travaillerons avec des patients partenaires pour nous assurer que les interventions sont réalisables et possibles dans leur vie au quotidien. »
Transformer la recherche en solutions pratiques
Le consortium collabore avec plusieurs partenaires des secteurs privé et sans but lucratif pour aider à transformer les résultats de la recherche en solutions pratiques que les gens sont plus susceptibles d’adopter. Health~Holland stimule et finance de tels partenariats public-privé pour garantir de plus grands avantages sociaux et économiques.
Par exemple, les participants à l’étude ont accès à une application de style de vie développée par l’entreprise néerlandaise MiGuide. La plateforme numérique offre aux patients un encadrement personnel en ce qui concerne la prise de nourriture, l’activité physique et le sommeil.
« Si vos résultats ne sont pas adoptés par les patients et les entreprises qui fabriquent les outils dont les gens ont besoin, ce ne sera jamais une solution applicable, peu importe ce que votre recherche montre », a déclaré le Dr Hoeks.
Les partenaires canadiens du consortium comprennent le Réseau de recherche en santé cardiométabolique, diabète et obésité (CMDO) au Québec, ainsi qu’Action diabète Canada, qui prévoit utiliser de nouvelles données probantes pour mettre à jour les lignes directrices canadiennes pour la pratique clinique relative au diabète.
Dr Norman Rosenblum : « Un remède est possible »
Bien que certaines études aient été retardées en raison de la pandémie de COVID-19, les chercheurs prévoient déjà que leurs efforts conjoints se poursuivront au-delà des cinq premières années du financement. Le Canada et les Pays-Bas ont des liens de recherche de longue date, et les Drs Carpentier et Hoeks ont tous deux déclaré que la collaboration sur le diabète convenait tout naturellement.
Par exemple, le Dr Hoeks a déclaré que les Néerlandais ont une grande expertise en biologie circadienne, et la capacité d’effectuer des études métaboliques sur des personnes au cours d’une période de 24 heures.
« Nous avons l’expertise et les installations qui nous permettent de prélever du sang au cours de la journée et de la nuit pour mesurer le profil sanguin des gens, a-t-il expliqué. Nous disposons aussi de salles où les gens peuvent dormir, qui nous permettent de mesurer la consommation d’oxygène et la production de dioxyde de carbone pour estimer leur dépense énergétique et déterminer s’ils brûlent surtout des graisses ou des glucides. Ces mesures uniques prises en continue nous indiqueront exactement comment les rythmes circadiens changent en réponse à diverses interventions sur le mode de vie à des moments précis. »
L’une des compétences que le Canada apporte est l’utilisation de techniques d’imagerie sophistiquées comme la tomographie par émission de positrons et l’imagerie par résonance magnétique pour voir comment le glucose est stocké et utilisé.
« Une belle synergie opère dans le cadre de ce consortium; de nombreuses collaborations très importantes et intéressantes ont été établies que l’on veut poursuivre, car elles seront vraiment utiles tant pour les gens des Pays-Bas que pour ceux du Canada », a déclaré le Dr Carpentier.
Il y a plus d’un siècle, la découverte de l’insuline a été l’une des grandes avancées en médecine qui a valu un prix Nobel à ses chercheurs canadiens, les Drs Banting et Macleod. Le Dr Rosenblum affirme que le Canada a pour mission de faire de nouvelles découvertes, plus audacieuses, sur le diabète.
« Quand on pense au 200e anniversaire de l’insuline, dans un siècle, notre aspiration devrait être de ne plus y avoir recours. Nous n’en avons pas besoin. Un remède est possible. »
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